Affaires autochtones : la nomination de Lafrenière ne fait pas l'unanimité
Si l’APNQL se dit prête à collaborer avec lui, d’autres intervenants voient son arrivée comme une « claque au visage ».

Ian Lafrenière, ministre aux Affaires autochtones du gouvernement Legault.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La nomination de Ian Lafrenière à titre de nouveau ministre des Affaires autochtones a provoqué des réactions aux antipodes parmi ceux qu'il devra dorénavant représenter à l'Assemblée nationale.
La décision du premier ministre de remplacer Sylvie D'Amours, qui occupait cette chaise depuis bientôt deux ans, par le député de Vachon a eu tôt fait de susciter une levée de boucliers vendredi matin.
C'est qu'avant de se lancer en politique, M. Lafrenière a passé une bonne partie de sa carrière dans les rangs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), où il a occupé le poste de chef de la Division des communications. Il était autrement dit le visage du SPVM – une organisation qui s’est fait reprocher de faire preuve de discrimination envers les personnes racisées.
Selon Nakuset, directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, le premier ministre François Legault vient encore une fois de démontrer qu'il s'intéresse peu au sort des Autochtones dans sa province.
Si le gouvernement s'en souciait vraiment, il aurait nommé quelqu’un qui a déjà par le passé pris la défense des communautés autochtones
, a-t-elle réagi. À son avis, ce n'est pas le cas de M. Lafrenière.
L’an dernier, un rapport mené par trois chercheurs indépendants a notamment conclu que les femmes autochtones étaient surreprésentées dans les interventions menées par les agents du SPVM. Selon ce rapport, elles sont 11 fois plus à risque d’être interpellées par la police que les femmes blanches.
Au dire de Nakuset, Ian Lafrenière est plutôt reconnu pour avoir œuvré à dissimuler
ce qui pouvait heurter l'image du SPVM, pour avoir prétendu que tout allait bien et limité les dégâts
.
On se demande si ce n’est pas pour nous punir que [Legault] met un ancien policier aux commandes. C'est comme une insulte, une claque au visage.
La volonté de Legault remise en doute
Pour sa part, la présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ), Viviane Michel, s'est dite très étonnée
de cette nomination. Je ne peux pas vous dire que je saute de joie, sachant le profil de ce personnage
, a-t-elle déclaré.
Je ne sais pas à quel point il va être intègre pour les Premières Nations ou faire la mise en œuvre des recommandations des deux commissions [CERP et ENFFADA]
, a-t-elle ajouté.
Même son de cloche du côté de la Ligue des droits et libertés. Ce choix surprend sa présidente, Alexandra Pierre. La commission Viens a été mise sur pied suite à des situations répétées d’abus de pouvoir, de menaces à l’intégrité physique de femmes autochtones, c’est donc quand même un message cynique de confier le secrétariat aux Affaires autochtones à un ex-policier
.
Ça pose la question de la volonté politique par rapport à la réconciliation avec les peuples autochtones, mais aussi la volonté politique de réellement mettre en œuvre les appels à l’action de la commission Viens.
Elle rappelle d’un même souffle son mandat au SPVM où il a systématiquement refusé de reconnaître et d’agir sur le profilage racial et sur le racisme systémique
.
Il ne faudrait toutefois pas oublier que M. Lafrenière a contribué à l'aboutissement d'une entente historique
entre le SPVM et l'organisation RÉSEAU, qui regroupe les organismes de services aux Autochtones de Montréal, souligne Philippe Meilleur, directeur général de Montréal Autochtone.
De cette collaboration est notamment né le comité de vigie autochtone, dont fait partie Montréal Autochtone. « On a accompli de belles choses grâce à cette entente-là », assure M. Meilleur.
« Je pense qu’il faut faire écho de ces travaux-là, et talonner [M. Lafrenière] là-dessus », ajoute-t-il.
L'APNQ salue l'arrivée d'un nouveau ministre
Moins pessimiste, l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) voit dans ce changement ministériel l'opportunité de renouveler les relations
avec le gouvernement Legault.
Son chef, Ghislain Picard, a félicité Ian Lafrenière pour sa nomination, promettant du même souffle de lui offrir toute sa collaboration
.
Il a par ailleurs demandé la tenue rapide d'une rencontre, au cours de laquelle il souhaite discuter du dossier des enquêtes sur la mort de Joyce Echaquan, celui de la chasse à l’orignal dans la réserve faunique La Vérendrye, ainsi que celui de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones
.
Évidemment, tous ces dossiers ont comme point commun l’enjeu de la reconnaissance du racisme systémique
, a-t-il souligné.
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En conférence de presse, vendredi, Ian Lafrenière a reconnu l'existence de racisme, de discrimination et de profilage, mais a refusé de parler de racisme systémique, précisant que le terme ne fait pas l'unanimité. Ce que veulent les gens sur le terrain, ce sont des actions
, a-t-il dit, reprenant ainsi les mots du premier ministre Legault.
Cependant, le grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw, Constant Awashish, compte bien ramener sur la table ce sujet qu'il juge primordial pour la famille, les communautés, tous les Autochtones
.
Constant Awashish ne s'étonne pas de cette nomination. Depuis le drame de Joyce Echaquan, il a reçu de nombreux messages et appels de Ian Lafrenière, a-t-il indiqué en entrevue à Espaces autochtones.
Bien qu'il se dise mitigé face à cette nomination, il donne la chance au coureur. Je l'ai vu en personne, il semble être un homme sympathique, à l'écoute. Reste à voir s'il va être capable de livrer la marchandise. Car ça a beau être Pierre, Jean ou Marie-Madeleine, s'il n'a pas l'écoute attentive du premier ministre, les choses ne changeront pas. C'est le premier ministre qui a le dernier mot
, a-t-il insisté.
Élu en 2018, Ian Lafrenière était jusqu’ici adjoint parlementaire de la ministre de la Sécurité publique. Il fait partie du groupe d’action contre le racisme, mis sur pied par le gouvernement Legault en juin dernier.
Ce comité doit présenter d'autres recommandations pour lutter contre le racisme, qui s'ajouteront aux quelque 160 appels déjà formulés dans les rapports de la commission Viens et de l'ENFFADA.