Le racisme systémique envers les Autochtones, aussi dans le système de santé
« Les préjugés envers les Autochtones demeurent très répandus dans l’interaction entre les soignants et les patients », a conclu la commission Viens.

Les discriminations que vivent les Autochtones au sein du système de santé sont documentées.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Tshiuetin (nom fictif) est un Innu de Uashat mak Mani-utenam sur la Côte-Nord. Il y a plusieurs années, alors qu’il était encore adolescent, il a été traité à l’unité de psychiatrie de l'hôpital de Baie-Comeau. « Ça n’allait pas bien dans ma vie, j’en étais à un point où je voulais mourir, donc je suis allé à l’hôpital », confie-t-il.
Il n’hésite pas à dire aujourd’hui que ce qu’il a vécu à cet hôpital était du racisme.
Ce texte est publié dans le cadre de la Journée nationale des peuples autochtones célébrée le 21 juin. Il porte sur une dimension du racisme systémique, celle qu'on retrouve dans les services de santé comme l'a mentionné les conclusions du rapport sur la commission Viens (Nouvelle fenêtre)
« J’ai remarqué que le personnel agissait différemment avec les Autochtones présents dans l’unité. Le personnel avait moins de patience avec nous », dit-il.
Pendant son séjour, il a été suivi par une psychiatre. « Chaque fois que j’allais dans son bureau pour discuter, il y avait toujours de la sécurité… Alors qu’il n’y avait jamais de sécurité quand c’était un Blanc qui allait à son bureau. »
En plus de la présence de gardiens de sécurité, Tshiuetin garde un mauvais souvenir des propos de cette médecin.
« Ça m’avait frappé à quel point elle voulait me faire sentir mal pour être ce que je voulais être, pour mon attachement à ma culture, à mon chez-moi, à ma communauté »
« Le message qu’elle voulait me faire comprendre c’est que mon appartenance à une nation autochtone était mauvaise, raconte Tshiuetin. Pour elle, être Innu c’est vivre dans une réserve donc c’est vivre dans un environnement de violence et de désespoir et que je devais partir. Elle voulait me vendre que je devais m’en aller de ma communauté. »
« Elle voulait que je quitte, tandis que moi, je voulais retrouver ma nation et ma culture. La psychiatre a tenté de me faire déconnecter », déplore-t-il.
Au fil de ses rencontres avec la psychiatre, Tshiuetin a remarqué un changement dans son attitude.
« Elle était de moins en moins patiente avec moi. À la longue, ça me faisait sentir coupable d’être là. C’était une période où j’avais beaucoup d’incertitudes, beaucoup de questionnements et je savais que j’avais besoin d’aide. Cette psychiatre ne m’a pas offert d’aide ».
Son séjour à cet hôpital s’est soldé par un passage en isolement.
« Je me suis fait enfermer dans une salle comme on voit dans les films, avec le lit vissé par terre et la camisole de force… Quand on m’a enfermé là, on m’a dit : ''Reste là deux jours, puis quand tu vas avoir fini de réfléchir, j’aimerais que tu nous dises que tu vas faire de mal à personne et que tu vas t’en aller pour aller mieux''. »
« Pour la psychiatre, aller mieux ça voulait dire que je m’en aille de ma communauté, pour m’éloigner de ma famille et de ma culture », précise-t-il.
Il n’a pas l’impression d’avoir reçu toute l’aide dont il aurait pu bénéficier.
« Moi, ma priorité c’était d’aller mieux. J’avais une vision noire de la vie, mais je faisais des efforts pour me sentir mieux et je ne me sentais pas appuyé dans ça ».
Une réalité documentée
Le cas de Tshiuetin n’est pas unique. Les discriminations que vivent les Autochtones au sein du système de santé sont documentées.
La commission Viens sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec constate dans son rapport final que « les préjugés envers les Autochtones demeurent très répandus dans l’interaction entre les soignants et les patients ».
Le rapport Viens présente également une partie du témoignage du docteur innu Stanley Vollant dans lequel il fait état du racisme qu'il a constaté au même hôpital où a séjourné Tshiuetin.
« À l’hôpital de Baie-Comeau, j’ai travaillé pendant près de dix ans, je peux vous dire qu’il y a du racisme systémique. Des infirmières, des médecins ont beaucoup de préjugés négatifs vis-à-vis les Premières Nations […] Donc, quand les gens de mon village ont des problèmes de santé, quand ils vont à Baie-Comeau, ils y vont de reculon [sic] parce qu’ils ont peur d’arriver à l’hôpital de Baie-Comeau, à l’urgence et de se faire juger par l’infirmière au triage »
La Commission de la Santé et des Services sociaux des Premières Nations Québec-Labrador (CSSSPNQL) a publié un rapport en 2019 sur les services en santé mentale au Québec.
Dans son rapport, la CSSSPNQL déplore qu’il y a un « manque d’adaptation des services à la réalité des communautés et à l’importance de l’aspect culturel ».
En 2018, l’Association canadienne de Santé publique (ACSP) a également fait paraître un rapport sur le racisme dans la santé publique. Elle y dénonçait que le racisme dans les soins de santé touchait majoritairement les Autochtones et les Noirs.
« L’exemple le plus flagrant de lois, de règlements et de politiques racistes au Canada est cependant notre traitement des Autochtones en raison du racisme, de la colonisation, du génocide et de la violence structurale », peut-on lire dans le rapport de l’ACSP.
La sécurité culturelle, une approche à adopter ?
À l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), les futurs infirmières et infirmiers ont la possibilité de suivre un cours sur les approches interculturelles dans les soins. Une partie spécifique de ce cours, montée par une ancienne professeure autochtone, porte sur les Premières Nations.
Ce cours de l'UQAC est entre autres basé sur le concept de sécurité culturelle. Ce concept a été développé par un chercheur de la Nouvelle-Zélande qui a constaté le racisme vécu par des Aborigènes à l'hôpital.
Selon l'Association des médecins indigènes du Canada et l'Association des facultés de médecine du Canada, la sécurité culturelle est « un état selon lequel un professionnel épouse l'habileté de l'autoréflexion comme moyen de faire avancer la rencontre thérapeutique avec les peuples [Autochtones] » (source : Centre de collaboration national de la santé autochtone).
Quelques années après son passage à l'hôpital de Baie-Comeau, Tshiuetin a dû à nouveau recevoir des soins en psychiatrie, mais cette fois à l'hôpital de Sept-Îles. « Ça été une expérience complètement différente, dit-il. Le personnel était doux, présent, à l’écoute et compréhensif des réalités autochtones. »
« Les psychiatres que j’ai vus [là-bas] voyaient dans ma culture une richesse plutôt que la raison de mon désespoir », se réjouit-il.