Méfiance persistante envers les policiers du SPVM au square Cabot
Les agents Michel Yigit et Pasquale Spagnuolo discutent avec les intervenants du square Cabot, dont David Chapman, coordonnateur de Résilience Montréal, un centre dédié au soutien de la population en situation d’itinérance à Montréal.
Photo : Radio-Canada / Julie Marceau
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les Autochtones en situation d'itinérance se sentent-ils en sécurité lorsqu'ils voient des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)? La réponse à cette question posée par Espaces autochtones à divers intervenants et habitués du square Cabot durant une journée a été unanime : non.
Ce texte est publié dans le cadre de la Journée nationale des peuples autochtones célébrée le 21 juin. Il porte sur une dimension du racisme systémique, soit les relations entre les Autochtones et les policiers. Un aspect important abordé dans les conclusions du rapport de la Commission Viens (Nouvelle fenêtre).
Ça va ?
, demande David Chapman à Andrée, 36 ans, qui gravite dans le secteur du parc urbain depuis ses 19 ans.
Oui mon ami!
répond Andrée qui laisse toujours éclater un énorme rire entre deux phrases.
Œuvrant depuis 25 ans avec des personnes marginalisées, David Chapman travaille plus spécifiquement avec la population itinérante du square Cabot depuis 2014.
L’entrevue est entrecoupée de mille et une demandes formulées à l’intervenant.
— J’essaie de récupérer 200 $, peux-tu m’aider?
— Est-ce que tu as une cigarette, David?
— David, j’aimerais te parler d’un problème en privé.
Le coordonnateur de Résilience Montréal est constamment sollicité. Les femmes et les hommes qu’il côtoie ont souvent d’importants problèmes de santé mentale, de toxicomanie ou de dépendance à l’alcool. Des canettes de bière traînent d’ailleurs ici et là dans le parc.
Malgré les plaintes de nombreux Montréalais, les policiers tolèrent la consommation d’alcool sur les lieux tant qu'elle se fait dans des verres de carton ou de plastique.
Hey!
, lance David Chapman au duo policier qui patrouille dans le parc en ce mardi ensoleillé.
Il les connaît bien. Avant la pandémie, les agents Michel Yigit et Pasquale Spagnuolo étaient affectés régulièrement au square Cabot, mais avec la COVID-19, les quarts de travail ont été modifiés.
Selon David Chapman, leur approche découle de changements effectués au poste de quartier 12 sous l’ancienne commandante Martine Dubuc, à la suite du rapport de la Commission Viens.
Elle avait même restructuré la brigade de sécurité à vélo pour faire en sorte de donner moins de contraventions aux personnes en situation d’itinérance, explique-t-il. Mais il y a tellement de travail à faire encore…
Les policiers, vous savez, ils perdent de vue ce que représente un uniforme pour les gens dans le parc
, dit-il.
Andrée se tient au square Cabot depuis plusieurs années. Elle dit avoir quitté son village de la Côte-Nord, près de Schefferville, parce qu'il y avait trop de violence
.
J’ai vu deux de mes amis être tabassés par la police. Vous pensez que je me sens en sécurité avec eux? Si quelque chose arrive, la police ce sera mon dernier recours…
, raconte Andrée qui insiste pour dire que les minorités
reçoivent toujours des tickets
.
Je pense que je vais me faire teindre les cheveux en blond et me mettre des verres de contact teintés bleus!
, renchérit cette membre de la nation naskapie, faisant éclater de rire David Chapman.
Andrée rit toujours. Elle aime même se moquer du long nom
de son propre village : Kawawachikamach.
Ça veut dire "rivière sinueuse"
, dit-elle en mimant les courbes d’une longue rivière. Vous comprenez?
Pour les personnes en situation d’itinérance, l’uniforme policier est un symbole d’oppression parce que les agents leur donnent souvent des contraventions inutilement; pour refus de s’identifier, pour la consommation d’alcool, parce qu’ils dorment dans le métro, parce qu’ils fument trop proche d’un abri d’autobus... pour la plupart des gens ici, ce n’est pas une image positive
, explique David Chapman.
Le 3 mai dernier, l'intervenant social a contacté le 911 pour recevoir une ambulance afin d’aider une femme en détresse psychologique. Ce sont plutôt 17 policiers accompagnés de l'escouade canine qui sont intervenus. L’intervenant dit ne pas pouvoir commenter le dossier en raison d'un processus judiciaire en cours, mais il avance que la réaction policière est souvent disproportionnée.
La police explique qu’avec plus d’agents, l’intervention se règle plus rapidement et que c’est donc plus sécuritaire pour tout le monde. Mais ce que cette approche néglige de considérer, c’est que, de l’autre côté, les gens du parc perçoivent ça comme de l’intimidation et de la violence
, dénonce-t-il.
Annie (nom fictif), aux facultés très affaiblies, entrecoupe la conversation.
J’haïs les policiers, je les haïs. J’ai eu une très mauvaise expérience avec la police
, dit-elle, avant d'entamer une conversation privée avec David Chapman sur une expérience qu’elle soutient avoir subi il y a quelques années.
Sarah Papialuk, 27 ans, veut elle aussi parler seule à seul avec le coordonnateur. Elle accepte toutefois de répondre aux questions d’Espaces autochtones.
Je suis moitié Crie, moitié Inuk
, explique la femme originaire de Puvirnituq au Nunavik.
En 2018, Sarah Papialuk avait expliqué devant la Commission Viens avoir été maltraitée par des policiers au Nunavik et avoir subi du racisme et des moqueries au centre de détention Leclerc, à Laval.
Les policiers, quand il n’y a pas de caméra, ils rient de nous. Mais nous avons des droits, vous savez?
, dit Sarah. Moi, même si je suis dans la rue, j’essaie de faire tout ce que je peux pour aider les autres
.
Sarah Papialuk estime aussi que la langue est une barrière supplémentaire dans les relations entre les Autochtones et les forces policières.
Moi j’ai appris à parler français. Mais les Autochtones, lorsqu’ils ne parlent pas français, ils ne sont pas bien traités par les policiers et c’est vraiment triste. C’est comme s’ils avaient plus de respect pour les Autochtones qui parlent français
, dit-elle.
Sous un petit chapiteau où quelques habitués du square Cabot boivent de la bière et fument des cigarettes en riant, Matty, 30 ans, raconte qu’il essaie toujours de garder ses distances avec la police.
Je ne veux pas de problème avec eux. Je ne veux pas qu’on me fasse mal
, explique l’homme originaire de Kangiqsujuaq, au Nunavik.
Ils ne sont pas gentils avec les Inuit. Je me suis déjà fait frapper par la police. Je ne sais pas pourquoi ils nous haïssent autant. Moi, je ne veux pas leur parler, je ne veux pas de problème. Je fais juste boire de l’alcool et fumer de la marijuana, c’est tout
, insiste-t-il.
Alors que les agents Michel Yigit et Pasquale Spagnuolo terminent leur ronde dans une ambiance bon enfant qui tranche avec les témoignages précédents, Espaces autochtones demande à André si ces deux policiers sont différents
pour lui.
Oui, mais ils portent l’uniforme!
, dit Andrée. Ils ont des armes. Je ne me sens pas en sécurité
.
Je pense qu’un des défis, c’est que les policiers, lorsqu’ils sont appelés à intervenir dans une crise, la plupart du temps, ils ne sont pas formés pour intervenir auprès de cette population... auprès des gens avec des troubles de santé mentale par exemple
, relate David Chapman.
L’un des changements, qui est en train de s’effectuer, c’est le fait d’impliquer de plus en plus des organisations communautaires. Plus on est là, moins les policiers sont appelés à intervenir
, assure-t-il.
Si on veut réduire la violence à l’égard des minorités visibles, éviter des dénouements tristes, il faut financer davantage les organismes communautaires. Et le plus vite on fera cette transition, le mieux ce sera pour tout le monde
, conclut l'intervenant social, abordé au même moment par une femme, qui veut, elle aussi, parler seule à seul avec lui...