Les couvertures, les virus et l’Histoire
Notre chroniqueuse pose un regard historique sur les épidémies tout en nous lançant une invitation à la solidarité.

Des Autochtones de la nation Pieds-Noirs d'Alberta enveloppés de couvertures
Photo : Bibliothèque et Archives Canada
En plein cœur de la pandémie actuelle de coronavirus, plusieurs blagues ont circulé sur les médias sociaux au sujet des expériences vécues par les Autochtones en matière de lutte contre les virus provenant d’outre-mer.
On pourrait trouver que tout cela est vraiment démesuré et n’a rien à voir avec la situation actuelle, que ce qui s’est passé aux 16e et 17e siècles est bien loin derrière nous. Mais est-ce vraiment le cas? Est-ce que les Autochtones, aujourd’hui, sont sur un pied d’égalité avec les autres Canadiens devant la maladie?
Le choc du contact
La première moitié du 17e siècle a été le théâtre des premières alliances entre les Premières Nations de l’Est et les Français. Le commerce des fourrures s’est développé conjointement avec la mise en place des missions pour sauver les âmes des enfants des bois. Toutes ces bonnes idées ont aussi augmenté la fréquence des contacts et fait éclore les premières épidémies répertoriées en Amérique.
Notre tradition orale porte encore la trace de ces épidémies qui, selon les estimations, ont décimé notamment de 50 % à 70 % de la population des nations de la Confédération Wabanaki qui vivaient sur le territoire d’interface des rencontres.
Nos histoires racontent qu’au moment où naissaient dans nos communautés les premiers enfants aux cheveux blonds, des perturbations majeures se produisirent. Des maladies pour lesquelles aucune médecine n’était connue apparurent. Notre animal sacré, le rat musqué, s’est alors changé en une plante, l’acore odorant, lui transférant toute sa magie pour sauver notre peuple. Encore aujourd’hui certaines personnes utilisent ce remède, qu’on appelle la « racine de rat musqué » pour se guérir de la grippe.
Puis la variole a aussi fait son entrée. Dans la langue wolastoqey, on appelle cette maladie « lahpikut », ça se prononce « la picotte »… Cela nous renseigne assez bien sur sa provenance, n’est-ce pas?
Les couvertures : un cadeau empoisonné
En faisant envoyer aux Autochtones des couvertures contaminées avec le virus de la variole, le général Amherst s’est rendu coupable d’un crime faisant intervenir une arme bactériologique. Il tenait pour acquis que les Autochtones n’étaient pas immunisés pour cette maladie et qu’elle ferait sans aucun doute des ravages considérables. Ce qui devait arriver arriva. Lorsque la Ville de Montréal a retiré le nom de la rue Amherst, en 2019, bien des Québécois ont appris que, dès les premiers balbutiements du régime britannique sur notre territoire, le problème « indien » en était un qui commandait l’utilisation de grands moyens.
Deux poids, deux mesures
Aujourd’hui, des vents ont soufflé sur la forêt depuis ces années sombres. Les Autochtones d’aujourd’hui, descendants des survivants de ces catastrophes sanitaires, ont développé leur système immunitaire.
Aussi, on voudrait croire qu’être autochtone, en 2020, au Canada, ne devrait pas être synonyme de vulnérabilité.
Or, on n’apprend que bien trop lentement les leçons de l’Histoire, et les populations des Premières Nations et des Inuit restent, encore aujourd’hui, bien plus à risques que le reste de la population canadienne de contracter des maladies, particulièrement ceux vivant dans les réserves. En effet, de nombreux facteurs contribuent à faire en sorte de maintenir un système à deux vitesses.
Isolement et pauvreté
Bien que les autorités de la Direction de la santé publique prônent les vertus de l’isolement, il n’est pas question, ici, de l’éloignement de certaines communautés autochtones. Bien sûr, vivre loin des centres urbains est, en soi, une protection, tant que la maladie n’a pas fait son entrée dans la communauté.
Toutefois, lorsque le virus est entré, l’isolement signifie aussi la difficulté d’accéder aux services de soins de santé. Par exemple, dans les communautés où le transport hospitalier se fait par avion, imaginez le casse-tête en cas de propagation massive de la COVID-19.
L’accès aux denrées est aussi problématique. Mis à part le coût exorbitant des aliments, dans le Nord du Québec particulièrement, les défis de l’approvisionnement et la pauvreté des populations ne permettent tout simplement pas les missions commandos pour stocker du papier de toilette, des cannes de conserves et du désinfectant.
Surpeuplement et installations sanitaires déficientes
Des chiffres publiés en 2006 par la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) révèlent que les populations autochtones vivant en réserve sont plus à risque que la population québécoise et canadienne. Leur espérance de vie est inférieure à la moyenne de 6 à 7 ans, les taux de diabète y sont de deux à trois fois plus élevés et ils sont exposés à des maladies graves habituellement associées aux pays du tiers monde, telles que la tuberculose.
Cette situation est indissociable de la négligence des autorités au niveau du financement des infrastructures sur les réserves. Parlons seulement de l’accès à l’eau potable qui est encore un enjeu pour une cinquantaine de communautés ou encore du surpeuplement dans les habitations. Difficiles, dans ces situations, d’être aussi disciplinés sur le lavage des mains et des surfaces et d’appliquer les recommandations d’éloignement suggérées.
La peur en héritage
Personnellement, j’ai un dédain profond des couvertures de laine. Dans ma famille, on raconte que notre arrière-grand-mère en recevait une nouvelle chaque année qu’elle regardait avec suspicion. La peur s’est transmise de génération en génération.
Cousins, cousines, amies, amis des Premières Nations, faisons de cette peur une alliée nous indiquant d’être prudents. Plus que jamais, prenez soin de vous et de vos proches. Devant la maladie, jusqu’à présent, l’Histoire ne nous a jamais déclarés gagnants.
Souhaitons qu’il en soit autrement cette fois-ci.