Les luttes internes autochtones au cœur de la mobilisation contre le gazoduc GasLink

Les chefs héréditaires wet'suwet'en Rob Alfred, John Ridsdale, Antoinette Austin lors d'une marche contre le projet Gaslink.
Photo : La Presse canadienne / Jason Franson
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La contestation autochtone contre le projet de gazoduc GasLink met en lumière l’influence des chefs traditionalistes et leur légitimité comme interlocuteurs auprès des gouvernements provinciaux et fédéral.
Invités à commenter les manifestations et les blocages de chemins de fer en Ontario, le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), le président du Conseil du patronat du Québec Yves-Thomas Dorval, l’ancien chef de Pessamit Raphaël Picard, le chef de Kanesatake Serge Simon, et l’ancien député libéral de Winnipeg-Centre, Robert Falcon Ouellet, s’entendent tous pour dire que la crise actuelle tire ses origines d’une remise en question de l’autorité des conseils de bande de la nation Wet'suwet'en par les chefs héréditaires traditionalistes.
C’est très complexe, effectivement
, a reconnu Ghislain Picard au micro d’Alain Gravel pour l’émission Les faits d’abord. Il y a les éléments politiques et les éléments juridiques.
Car les conseils de bande sont créés en vertu de la Loi sur les Indiens adoptée en 1876. Certaines nations autochtones ont toutefois conservé leur structure traditionnelle de pouvoir, d’où la présence de deux interlocuteurs possibles lors d’une crise politique de la sorte.
Si ces deux structures peuvent s’entendre pendant un certain temps, des divergences d’opinion peuvent mener à des affrontements, comme c’est le cas actuellement avec le projet GasLink, approuvé par cinq des six conseils de bande, et qui doit traverser le territoire traditionnel de la nation Wet'suwet'en, dans l’ouest du pays.
C’est très complexe et la population [non-autochtone] n’est pas très au courant, bien que l’on ait vécu plusieurs crises
, juge pour sa part Yves-Thomas Dorval, qui avait notamment participé à une cellule de crise lors du conflit à Oka en 1990.
Il y a les positions des conseils de bande, mais les territoires traditionnels sont dans certains cas familiaux
, ajoute Ghislain Picard.
Séparation des pouvoirs
Invité lundi à l’émission Midi Info, Éric Cardinal, chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, note que le nœud du problème est l’absence de séparation reconnue des pouvoirs entre les deux entités.
Globalement, les conseils de bande s’assurent de l’administration de la communauté
, alors que les chefs héréditaires sont les détenteurs et protecteurs des titres et des droits ancestraux
. Ces derniers ont très souvent une reconnaissance légitime et même de fait, des membres de la communauté
.
Les tribunaux canadiens et les gouvernements reconnaissent en fait comme seuls gouvernements légitimes les conseils de bande
, rappelle toutefois M. Cardinal.
Puisque le projet GasLink doit traverser le territoire traditionnel de la nation Wet'suwet'en, les chefs traditionnels jugent alors que leur autorisation est essentielle pour que la construction du gazoduc puisse aller de l’avant.
C’est une question interne à cette nation-là qui maintenant déborde dans la société canadienne
, estime pour sa part Robert Falcon Ouellet, au micro d’Alain Gravel.
Pour l’ancien député libéral, le processus démocratique menant à l’élection des conseils de bande doit être respecté. L’autorité des chefs héréditaires demeurerait morale
.
Imaginez si la reine d’Angleterre venait au Canada et disait que nous devons adopter telle loi ici
, illustre-t-il à titre de comparaison. Aujourd’hui, les Canadiens, même si on a connu une monarchie absolutiste il y a 400 ans […], ce serait maintenant inacceptable. La reine a donc un rôle à jour, mais très minime.
Une comparaison qui n’est pas partagée par Raphaël Picard, ancien chef de la communauté innue de Pessamit, qui rappelle que les chefs héréditaires réclament un certain pouvoir sur les territoires traditionnels non cédés au gouvernement canadien.
Il faut revoir l’occupation historique des terres qui sont hors de la réserve, hors de l’autorité du conseil de bande
, fait-il valoir. Ce sont les familles qui autorisent s’il y a cession de droit, ou si on consent au développement de projets industriels.
Au final, les prochains projets sur les territoires traditionnels autochtones devront probablement obtenir plus que l'approbation du conseil de bande uniquement et miser sur une « acceptabilité sociale » plus large.
Je conseille parfois des entreprises et je leur dis toujours qu’il faut aller au-delà de ce qu’est le droit ou de ce qui est la loi
, explique Éric Cardinal. Il faut essayer d’obtenir la plus grande acceptabilité sociale possible au sein d’une communauté.