Unikkaaqtuat : quand le Nord débarque au Sud
La mythologie inuit regorge de mythes et légendes qui ont traversé les territoires et les époques. Si plusieurs ont fini par être oubliées ou étouffées par des mythes plus contemporains, une dizaine de ces histoires reprendront vie sur la scène du Centre national des Arts (CNA) à Ottawa jeudi.
Unikkaaqtuat est une collaboration entre les 7 doigts, la communauté d'Igloolik et l'artiste inuk Germaine Arnaktauyok.
Photo : Radio-Canada / Anne-Marie Yvon
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« Ce à quoi vous assistez est très fragile dans notre monde moderne », dit d’entrée de jeu Guillaume Saladin, du collectif Artcirq.
Nous sommes une cinquantaine de personnes réunies dans une petite salle de spectacle dans les locaux des 7 doigts de la main à Montréal pour assister à une présentation interne d’Unikkaaqtuat (nos légendes).
« Les enfants d’Igloolik connaissent, comme le reste de la planète, Superman et Batman, j’en suis sûr. Mais demandez-leur s’ils connaissent The Blind Boy and the Loon? Et pourtant ça fait partie de leur culture », ajoute Guillaume Saladin, surnommé Ittukssarjuat (le petit vieux qui deviendra grand).
Celui qui a passé sa jeunesse dans cette petite communauté du Nunavut avec ses parents, des anthropologues, et qui y vit encore plusieurs mois par année souhaitait garder ces mythes bien vivants en les partageant par tous les moyens possibles. Il n’était pas le seul.
Avec son ami Patrick Leonard, un des membres fondateurs des 7 doigts, qu’il a rencontré pour la première fois en 2002 à Igloolik, ils avaient l’idée de développer une production importante impliquant les jeunes de la communauté.
De son côté, Taqqut, une société de production cinématographique située à Iqaluit, avait les mêmes visées, voulant recréer la mythologie inuit à travers les dessins de Germaine Arnaktauyok, artiste graveuse, peintre et dessinatrice, celle-là même qui a dessiné l’ours polaire sur la pièce de deux dollars.
Une rencontre, un partage des idées et le tour était joué, Unikkaaqtuat allait prendre vie.
C’est au CNA, à Ottawa, que la première mondiale du spectacle aura lieu jeudi. Les représentations vont se poursuivre jusqu'à dimanche.
Kevin Loring, le directeur artistique du Théâtre autochtone du CNA, n’aurait pas laissé passer une telle production.
« J'ai rencontré Actcirq pour la première fois lorsqu'ils ont fait une demande au Fonds national de création pour ce projet. En lisant la demande, j'ai immédiatement pensé que c'était un projet incroyable », précise le directeur qui souligne le travail de « collaboration remarquable entre les 7 doigts, la communauté d'Igloolik et, bien sûr, la brillante artiste inuk Germaine Arnaktauyok. »
« Unikkaaqtuat est une étonnante célébration de la culture inuit et une fenêtre sur la perspective inuit. »
Dépaysement assuré
Sur scène, une dizaine d’artistes, dont Terry Uyarak, élevé à l’ombre de la troupe de cirque Artcirq depuis 2006. Le musicien, jongleur, acteur est un touche-à-tout. « C’est notre référence principale pour toutes les histoires, principalement celles provenant de la région d’Igloolik », mentionne Patrick Leonard.
Terry Uyarak a des attentes, « je souhaite que le public comprenne que les gens du Nord ont leur propre rythme de vie, leur propre conception du temps », il espère aussi qu’il comprendra « nos histoires racontées dans notre langue. Ça fait partie des échanges que nous avons. Quand je viens dans le Sud la culture est différente, la langue est différente, je suis dépaysé et c’est comme ça que le public va se sentir, dépaysé! »
« Il ne s'agit pas de confronter le public, renchérit Kevin Loring, mais de le plonger dans les sons et les sensations que procure la langue et ces histoires. C'est en fait merveilleux d'entendre la langue parlée dans cette pièce. Cela vous amène tout droit dans le Nord. »
Sur scène également, la chanteuse de gorge Charlotte Qamaniq, la comédienne Christine Tootoo et le chanteur du groupe The Trade-Offs, Joshua Qaumariaq.
Quand Joshua chante en inuktitut pour la première fois, la petite salle montréalaise est subjuguée.
« Raconter une histoire par le cirque, ça ne peux jamais être totalement clair, c’est plus une métaphore, un feeling, dit Patrick Leonard, alors dans la musique et les chansons qu’a créées Josh on constate que les histoires sont sombres, elles proviennent d’une autre époque, comme nos propres histoires qui étaient sombres. »
« L’idée est de trouver de nouvelles façons de collaborer avec les gens, insiste Guillaume Saladin, selon qui les chances de se rencontrer sur le vaste territoire du Nunavut sont rares. « C’est unique de travailler avec Josh, Charlotte, Christine [qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant.] Ça nous permet de grandir en tant que communauté artistique et c’est très important pour le Nunavut. Vingt ans ont passé et on voit enfin des artistes émerger, dit-il encore. Certains étaient des artistes solos, maintenant nous sommes un groupe. »
Comment mélanger cirque, chants, effets visuels, projections vidéo et d’ombres, animation et ainsi reproduire les mythes fondateurs? « Le spectacle est le résultat de cela. Toute cette expérience nous a permis de voir avec quoi on allait aboutir », dit Patrick Leonard qui travaille avec des artistes d’univers et d’expériences totalement diverses. Pour certains, c’est aussi une première expérience sur scène qu’ils vont vivre à Ottawa.
« Ce n’est pas encore parfait, mais ça ne le sera jamais, constate Patrick Leonard, mais le plus important c’est que chacun en retire quelque chose, autant les artistes que l’équipe technique que les gens venus voir et qui seront totalement perdus : bienvenue dans le Nord! »
Unikkaaqtuat est présenté au Centre national des Arts d’Ottawa du 9 au 12 janvier. Le spectacle sera ensuite présenté à Nanaimo, Vancouver, Camrose et Yellowknife.