Bootlegger : tout le pouvoir aux femmes

Tournage du film Bootlegger de la réalisatrice Caroline Monnet
Photo : Radio-Canada / Anne-Marie Yvon
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Caroline Monnet souhaitait reconnecter avec sa communauté d’origine Kitigan Zibi Anishinabeg. C’est par le cinéma qu’elle a choisi de le faire. Son film, Bootlegger, sortira sur grand écran dans quelques mois.
Ce n’est pas un samedi comme les autres dans la communauté algonquine de Kitigan Zibi, à une centaine de kilomètres au nord de Gatineau. Les alentours du centre communautaire fourmillent de monde, de véhicules et d’équipement. C’est la journée la plus occupée depuis le début du tournage de Bootlegger, le premier long métrage de la réalisatrice Caroline Monnet.
Toute la communauté, qui compte 1500 résidents, a été invitée. Certains sont là pour voir comment se réalise une production cinématographique, d’autres travaillent au film et un grand nombre y fait de la figuration.
C’était une première expérience pour beaucoup d’entre eux d’être devant la caméra, c’est très positif comme expérience
, se réjouit Caroline Monnet qui a même réquisitionné quelques maisons pour y filmer certaines scènes.
Le producteur associé et rôle muet dans le film, Sheldon McGregor, a permis cet accueil chaleureux. C’est lui qui a géré les relations pour que tout le monde soit respecté et pour s’assurer que ce soit une expérience positive pour tous, autant l’équipe que la communauté
. Il souhaitait aussi que la culture anichinabée soit respectée en suivant les règles de la communauté et même juste respecter les choix des gens.
Il explique que des personnes aînées n’aiment pas être devant la caméra et j’ai imposé qu’on ne les force pas.

Sheldon McGregor est le producteur associé du film « Bootlegger », réalisé par Caroline Monnet.
Photo : Radio-Canada / Anne-Marie Yvon
Un projet d’une telle envergure aide aussi l’économie de la région. Le projet a suscité la curiosité et a permis d’engager des jeunes et des gens intéressés par le film
, ajoute Sheldon McGregor.
Et action!
À l’intérieur du centre communautaire, une machine fumigène souffle un nuage de brume qui se répand rapidement dans la pièce. Les techniciens et les acteurs sont prêts, la réalisatrice est fébrile.
Caroline Monnet a écrit et peaufiné son film à Paris il y a trois ans pendant une résidence de production qui lui a été offerte par la Cinéfondation du Festival de Cannes. Il s’agit d’une des rares productions autochtones tournées en français, en anishinaabemowin et dans une moindre mesure en anglais.
S’il existe une cinématographie anglophone autochtone de plus en plus importante, du côté francophone ça émerge
, précise l’actrice wendat Dominique Pétin, un des douze acteurs faisant partie de la distribution de Bootlegger. De ce nombre, dix sont des membres des Premières Nations. Ils se nomment entre autres Samian, Joséphine Bacon, Jacob Whiteduck-Lavoie, Marco Poulin ou C.S. Gilbert Crazy Horse.

Caroline Monnet, la réalisatrice du long métrage « Bootlegger », en discussion avec deux personnages : Nora interprétée par Joséphine Bacon et Mani jouée par Devery Jacobs.
Photo : ©Lou Scamble
Réserve sèche ou non?
Le comédien Charles Bender fait aussi partie de la distribution. Il explique l’idée de base du film : c’est un référendum que les gens sur la communauté [fictive] essaient d’organiser, à savoir s’ils vont permettre la vente d’alcool locale sur la communauté ou non.
Une manière, ajoute-t-il, d’aborder le sujet de l’autodétermination, de la souveraineté politique.
Jacques Newashish, un Atikamekw de Wemotaci, que l’on a vu dans le film Avant les rues, abonde dans le même sens. Je connais quelques communautés où c’est encore interdit d’avoir de l’alcool. C’est pas juste ce sujet-là, l’alcool, qui est actuel, c’est de se prendre en main en fait en tant que communauté, en tant que nation aussi.
« Je trouve qu’il y a un parallèle, une métaphore à faire avec le Québec », renchérit Dominique Pétin, « ne serait-ce que dans cette tentative de référendum, encore une fois de se prendre en main ».
La plus jeune comédienne de la production, Kawennáhere Devery Jacobs, a 26 ans. Cette Mohawk de Kahnawake analyse la thématique du film en la comparant à un enjeu très actuel. Les mêmes conversations ont lieu au sujet de la marijuana qui a des répercussions sur nos communautés. Les collectivités ont la possibilité d'en profiter, mais en même temps, cela va à l'encontre de bon nombre de nos croyances traditionnelles
, dit-elle.
Place aux femmes
Seule actrice anglophone sur le plateau de tournage, Devery Jacobs y tient le rôle principal, celui de Mani, une jeune avocate ambitieuse qui retourne dans sa communauté autochtone et tente d’organiser le référendum qui permettra d’annuler la prohibition qui a toujours cours dans la réserve. Elle y rencontre une non-Autochtone, Laura, un rôle tenu par Pascale Bussières, qui profite du trafic illégal d’alcool.
Le film mise sur les femmes. Pour moi c’est important de mettre des personnages féminins forts à l’écran, je pense que le changement passe par les femmes. Elles se mobilisent, elles prennent en main leur destin
, dit la scénariste principale et réalisatrice Caroline Monnet.
J’espère que les gens vont se reconnaître dans mes personnages.

« Bootlegger », le premier long métrage de l'artiste multidisciplinaire Caroline Monnet, a été tourné dans la communauté de Kitigan Zibi Anishinabeg.
Photo : ©Catherine Chagnon
Il ne faut pas sous-estimer les choix que Caroline a faits de donner les rôles de pouvoir à trois femmes,
mentionne Dominique Pétin. Une cheffe de bande, une bootlegger et une héroïne avocate, elle voulait manifester que le changement arrive par les femmes.
Si la réalisatrice a su s’entourer de valeurs sûres, les bailleurs de fonds ont été sensibles à sa proposition, la SODEC, Téléfilm Canada, le Fonds Harold Greenberg ont décidé de l’encourager.
Il n’y a pas beaucoup de cinéma francophone autochtone, donc un film comme Bootlegger qui met en scène des personnages autochtones forts, ça a dû les intéresser puisqu’ils l’ont financé
, explique Caroline Monnet.
Par contre, la jeune femme n’a pas eu droit au fonds autochtone de Téléfilm Canada, parce qu’elle ne détient pas au moins 50 % des actions du long métrage. Il aurait aussi fallu qu’elle produise le film.
Les 25 jours accordés au tournage de Bootlegger, produit par Microclimat Films se terminent. La réalisatrice passera les prochains mois en salle de montage.
Elle y visionnera la scène tournée avec son grand-père : un moment très spécial parce que ça fait longtemps qu’il est parti de la réserve. Et la scène se déroulait en anishnabemowin.
Une grande fierté pour celle qui souhaite que le film sera positif pour la communauté et pour le cinéma québécois aussi.