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Artistes autochtones : l'École nationale de théâtre se met au diapason

L'artiste a le corps enduit de peinture rouge. Une ficelle rouge bande ses yeux et sa bouche.

L'artiste innue Soleil Launière lors d'une nuit de performances artistiques organisée par les résidents autochtones de l'ENT.

Photo : École nationale de théâtre du Canada / Adrian_Morillo

L'École nationale de théâtre du Canada (ENT) est à la recherche de nouveaux talents pour participer à son programme de résidence d'artistes autochtones pour la saison 2020-2022. Une initiative qui ouvre un peu plus la voie à une « présence autochtone » dans un milieu longtemps considéré comme élitiste.

Un vent nouveau souffle sur l’École nationale de théâtre. Consciente qu’elle n'incluait pas assez d'arts spécifiquement autochtones à son cursus, l’école a amorcé un travail de fond sur les questions de représentation et de valorisation de ces artistes dans le théâtre institutionnel.

À l’instar du Centre national des arts d’Ottawa (CNA) qui a lancé cet automne le tout premier théâtre autochtone du monde, l’ENT s’est donné pour mandat de soutenir des artistes autochtones émergents ou confirmés sur une période de deux ans. L’établissement, qui occupe le site historique du prestigieux Monument-National de Montréal, espère ainsi s'imprégner de leurs pratiques et développer de nouvelles approches pédagogiques.

Les deux hommes se font face et discutent.

Le directeur de l'École nationale de théâtre, Gideon Arthurs, en compagnie de Carlos Rivera (à droite), le tout premier artiste autochtone anglophone en résidence.

Photo : École nationale de théâtre du Canada

« Apprendre à faire connaissance »

Instauré il y a quatre ans par la directrice de l'engagement artistique de l’ENT, Maude Levasseur, le programme de résidence dédié aux artistes autochtones se veut « une passerelle, un lieu d'échanges et de créativité ».

Il s’agissait de reconnaître que nous avions une responsabilité en tant qu’école nationale. Le théâtre permet avant tout de raconter des histoires et de créer des communautés, c’est un vecteur d'empathie formidable. Et c’est ce sentiment d'ouverture sur le monde et sur l'Autre que nous voulons offrir à nos étudiants. On ne veut pas que l’art soit une affaire d’élite.

Une citation de Maude Levasseur, directrice de l'engagement artistique à l’ENT

Avec cette résidence, qui comprend un volet francophone et un volet anglophone, l’école propose aux artistes de suivre ses formations tout en développant un projet personnel. La durée de deux ans permet en outre de réellement apprendre à faire connaissance, selon Maude Levasseur, qui espère que ce projet aura un impact sur l’ensemble du milieu.

Travailler avec des artistes matures était la façon la plus naturelle de créer ce lien avec les communautés. C'est une vraie préoccupation de compter des étudiants autochtones et de trouver la bonne façon d’accueillir, assure-t-elle.

Et la formule semble déjà porter ses fruits, puisque des artistes comme Carlos Rivera, Jimmy Blais ou Sylvia Cloutier ont pu bénéficier de formations, contribuer aux cours dispensés par l'école et se produire sur différentes scènes au pays.

C'est aussi le cas de Soleil Launière, artiste multidisciplinaire originaire de Mashteuiatsh, qui a été la première artiste autochtone à intégrer le volet francophone de cette résidence artistique en 2018.

Portrait de Soleil Launière, assise sur un canapé et souriante.

Soleil Launière

Photo : École nationale de théâtre du Canada

« Des changements sont possibles »

Quand je suis arrivée, j’étais la seule étudiante autochtone francophone de l’établissement. Ça a été une adaptation pour moi comme pour l'école, se rappelle Soleil Launière. On apprend à se connaître, à se comprendre, c’est un peu comme dehors... Il y a un grand travail à faire, mais c’est un beau processus qui vaut vraiment la peine, explique-t-elle, ajoutant que le manque de représentativité a tout de suite été au cœur des discussions.

J’avais mon projet en tête et j’ai pu le faire évoluer au fil des échanges, poursuit la jeune femme, en indiquant qu’elle s’est sentie soutenue durant tout ce processus qui doit aboutir en février à la présentation d’un de ses projets d’art performance.

Avec cette résidence, je n’ai pas été cloisonnée ou mise dans une case, précise-t-elle en référence à ses origines. Dans la vie, on avance avec notre culture, mais elle ne nous limite pas. Mes créations sont inspirées par mes racines, mais il y a beaucoup plus... Et je me sens libre d’exprimer qui je suis.

Une citation de Soleil Launière, artiste multidisciplinaire innue
Sur une scène, le corps de la comédienne est dans la pleine ombre. En arrière- plan, l'image d'un corps de femme est projetée sur un mur.

Soleil Launière, en répétition du spectacle Umanishish, mis en scène par Xavier Huard et Gonzalo Soldi (Production, 2014).

Photo : Gracieuseté

Soleil Launière, qui travaille sur la présence du corps et sur l’audiovisuel expérimental, commence d’ailleurs à donner ses premiers cours dans l'établissement.

Je veux pousser les étudiants à aller voir d'autres cultures et à explorer d'autres formes d'arts pour qu'ils puissent s'enrichir, mais aussi se trouver avec leurs propres différences, défend-elle.

Il faut changer les mentalités en profondeur, croit l’artiste, et cela se fera aussi avec les nouvelles générations.

Tant qu’il y aura aussi peu de représentation d'artistes autochtones sur scène et à la télévision, les jeunes ne se reconnaîtront pas et ne pourront pas se voir au théâtre. Il faut ouvrir les portes des écoles et des institutions. Il y a une belle vague d'intérêt, même si ce changement reste embryonnaire. On n’est vraiment pas rendu là où on devrait être.

Une citation de Soleil Launière, artiste en résidence à l'École nationale de théâtre

Elle espère ainsi que le programme de l’ENT sera un exemple à suivre. Ça démontre que c'est possible, les changements se font bien, les ponts peuvent se faire, conclut-elle.

Examen de conscience du milieu théâtral québécois

Ex-étudiant de l’ENT, acteur et metteur en scène québécois, Xavier Huard est aussi cofondateur d’un collectif d’artistes autochtones et non autochtones, les Productions Menuentakuan. C’est à l’ENT, en 2013, qu’il a monté son premier spectacle pour les communautés autochtones. Aujourd’hui, il intervient en tant que consultant avec d’autres artistes de sa troupe dans le cadre de cette résidence pour artistes autochtones. Soleil Launière fait d'ailleurs partie de ce collectif.

Quand je suis sorti de la formation en 2013, il n’y avait aucun étudiant ou artiste autochtone, et rien dans le programme; mais comme partout ailleurs dans les écoles de théâtre au Québec, constate Xavier Huard. Ils ont vraiment compris qu’il y avait un pas à faire. C’est un changement sans précédent pour une telle institution.

Portrait des comédiens de la troupe Menuentakuan

Xavier Huard (en bas à gauche) entouré des artistes du collectif Menuentakuan, Charles Bender, Tania Kontoyanni, Soleil Launière, Marco Collin et Mohsen El Gharbi, en scène dans Là où le sang se mêle.

Photo : Radio-Canada / Sophie-Claude Miller

Bien qu’il observe cet intérêt grandissant envers les artistes autochtones, les choses lui semblent toujours difficiles à faire bouger au sein des institutions francophones telles que les conservatoires de la province.

Ça fait longtemps qu’on voit des projets semblables chez les Autochtones anglophones, mais chez les francophones, ç'a vraiment été un long réveil. Au Québec, on devait d’abord s'émanciper du rapport dominant dominé avec le Canada anglophone. Il a fallu faire un virage à 180 degrés pour se rendre compte qu’on était aussi dans une posture de dominant envers les peuples autochtones.

Une citation de Xavier Huard, codirecteur de la compagnie de théâtre Productions Menuentakuan

Pour le jeune metteur en scène, il s’agit d'un examen de conscience nécessaire pour ces institutions théâtrales qui doivent opérer un changement de paradigme et développer une approche interculturelle.

La façon de juger qu’un artiste est bon se fait aussi par des prismes culturels, explique-t-il. Cela demande une ouverture à ces codes, tout en offrant aux artistes professionnels les mêmes outils et techniques pour pouvoir exprimer au mieux leur art.

Par ailleurs, il s’agit de redonner aux populations autochtones l’accès « à cet organe démocratique » qu’est le théâtre, soutient-il. Un « levier social » dont ces communautés ont longtemps été privées.

Grâce à la sensibilisation, à la réappropriation, à la visibilité, mais aussi à la formation de jeunes artistes autochtones francophones, une reconquête de cet espace théâtral semble donc possible pour les intervenants de l’ENT et ces artistes qui tâchent de « tracer le chemin ».

Une relève légitime d’artistes autochtones

Nous espérons que ces collaborations pourront porter fruit dans les prochaines années et que nous verrons tout particulièrement plus d’élèves et d’artistes autochtones francophones au sein de l’école, souhaite Maude Levasseur, qui encourage les artistes de cette relève à envoyer leur candidature pour le programme de résidence artistique.

L'artiste est habillée de noir avec des bottes en peau. Elle est accroupie et dialogue avec deux autres personnes.

Sylvia Cloutier, artiste autochtone en résidence, 2019, Iqaluit.

Photo : École nationale de théâtre du Canada

Le programme de l'ENT est ouvert aux artistes ayant au moins cinq ans d'expérience dans la pratique professionnelle des arts de la scène. Ils devront être disponibles sur une base intermittente de septembre 2020 à mai 2022.

La date limite pour postuler est le 29 novembre 2019.

Plus d’information sur le site de l'École (Nouvelle fenêtre).

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