« Les Autochtones ne sont pas assez présents dans le cinéma québécois », clame Naomi Fontaine

Le film Kuessipan est composé en majorité d’une distribution autochtone.
Photo : Laurent Guerin
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Avec Kuessipan, Noami Fontaine coscénarise avec la réalisatrice Myriam Verreault son recueil éponyme publié en 2011. Le film, dont le titre en innu signifie « à toi, et à moi », raconte l’amitié entre deux jeunes femmes à Uashat. Cette œuvre moderne se veut le portrait tendre et poétique d’une jeunesse autochtone de la Côte-Nord.
Le récit de Kuessipan commence telle une fable et se termine comme une parabole. Mikuan (Sharon Fontaine-Ishpatao) et Shaniss (Yamie Grégoire) se connaissent depuis qu’elles sont toutes petites. Ensemble, elles font les quatre cents coups. Jusqu’ici tout va bien, jusqu’au jour où cette amitié qu’elles croyaient indestructible se brise, quand, adulte, Mikuan tombe amoureuse d’un « Blanc ».
Je voulais que le film garde l’émotion contenue dans mon livre, raconte en entrevue Noami Fontaine. Qu’on ait l’impression de rentrer littéralement dans la vie des gens, pas seulement effleurer, mais ressentir les choses de l’intérieur pour aller plus loin que les idées préconçues.

Kuessipan de Myriam Verreault
Photo : Laurent Guerin
L'écrivaine n’avait auparavant jamais pensé à une adaptation sur pellicule de son premier roman. Mais voilà que la cinéaste Myriam Verreault (À l’ouest de Pluton) lui propose alors de coscénariser à ses côtés une version intime de son recueil.
Quand on s’est rencontrées, je ne la connaissais pas, explique la romancière. J’ai toutefois rapidement aimé sa curiosité et cette envie d’apprendre à mieux nous connaître, nous les Innus. Et puis sa proposition m’a convaincue.
Au-dessus des stéréotypes
Kuessipan est un film contemporain, ancré dans la réalité et porté par une distribution autochtone qui n’essaye pas de jouer « aux Indiens », précise Naomi Fontaine, qui regrette d’ailleurs le peu de fictions québécoises consacrées aux Premières Nations.
Clairement, il n’y en a pas assez, et quand il y en a, ces œuvres tournent toujours autour des problèmes sociaux, affirme-t-elle. On nous dépeint souvent à travers les statistiques ou le prisme des médias, mais rarement sous l’œil de l’authenticité.
Les Autochtones ne sont pas obligés d’être des grands êtres spirituels ou bien des gardiens de la Terre. On peut être une maman ou une amie fidèle, comme avec Kuessipan, dans lequel les Innus n’ont pas besoin de se fantasmer ou s’idéaliser pour le bonheur des autres.
Après avoir vu le long métrage tourné au cœur de la communauté de Uashat mak Mani-Utenam à Sept-Îles, la romancière s’est dite très impressionnée par le jeu des actrices et des acteurs, pour la plupart des non-professionnels.
Chez nous, on a des jeunes pleins de talent, ils ne sont toutefois pas assez reconnus à leur juste valeur, rétorque-t-elle. L’industrie cinématographique au Québec doit comprendre qu’il existe un fort potentiel, et c’est en travaillant ensemble que l’on peut réaliser de beaux projets.

Kuessipan fait le portrait de plusieurs membres de la nation innue à travers le quotidien d'une communauté de la Côte-Nord.
Photo : Laurent Guerin
Le film, en salle aujourd'hui, a été présenté en septembre dernier en première mondiale au Festival international du film de Toronto (TIFF), où il a reçu un très bel accueil. Le Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ) l’a également honoré du prix du meilleur long métrage.
Un soulagement pour la réalisatrice Myriam Verreault, qui aura mis sept ans de travail pour que cet opus devienne réalité. Durant l'écriture du scénario, l'équipe a dû composer avec trois refus de financement de la part de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEQ).
C’est difficile de faire du cinéma, note-t-elle. Il existe des enjeux à la fois monétaires et institutionnels. Même si l'on a connu plusieurs obstacles, on n’a jamais abandonné, puisqu’on était habitées par l’envie de faire une œuvre dans laquelle les Innus peuvent s’identifier et en être fier.
Les Autochtones du Québec sont des Québécois à part entière. Ils sont connectés à Internet. Ils regardent la télévision québécoise, l’émission Tout le monde en parle. Ils écoutent Céline Dion ou Éric Lapointe. Mais nous, on ne les connaît pas.

Kuessipan met en scène Sharon Fontaine-Ishpatao qu'on voit ici avec l'acteur Étienne Galloy.
Photo : Max Films Media
La relation de confiance entre la cinéaste et la romancière s’est construite progressivement, chacune apprenant de l’autre au fil des discussions. Myriam Verreault ajoute qu’elle voulait à tout prix tourner un film avec les gens de Uashat. Comme elle n'est pas Innue, la collaboration de Naomi Fontaine s’est avérée vitale pour la réalisation de ce projet.
Je m’intéresse beaucoup à la politique, à l’histoire, à la langue ou la sociologie, mais je ne voulais surtout pas faire une production anthropologique, note Myriam Verreault. Ce n’est pas un film sur les Innus, mais un film avec des personnages innus qui me ressemblent.
C'est quand la réalisatrice originaire de Québec est arrivée pour la première fois sur la Côte-Nord, en 2010, qu'elle a réalisé combien la méconnaissance est grande parmi les non-Autochtones.
On ne sait rien des peuples qui habitent ici depuis toujours. J’étais un peu fâchée de voir comment on m’a appris à l'école l’existence des Premières Nations. Il y a des manques énormes sur notre compréhension de la réalité autochtone au Québec
, conclut-elle.
Kuessipan prend l’affiche un peu partout au Québec aujourd'hui.