•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Pour en finir avec le postcolonialisme - une entrevue avec la romancière groenlandaise Niviaq Korneliussen

L'auteure groenlandaise Niviaq Korneliussen

L'auteure groenlandaise Niviaq Korneliussen présente son premier roman, Homo Sapienne, qui a été traduit et publié en français en 2017.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Villeneuve

Radio-Canada

Originaire du Groenland, Niviaq Korneliussen propose un premier roman, Homo Sapienne, où elle jette les bases d'un renouveau de l'écriture du Nord, à 1000 lieues d'une littérature plus traditionnelle.

Une entrevue de Jean-François Villeneuve

Dans ce livre, cinq jeunes dans la vingtaine vivent difficilement le passage à l’âge adulte, sous fond de tensions personnelles et de crises parfois exacerbées par la société qui les entoure.

Résolument campé dans le 21e siècle, le récit propose un décor urbain et technologique, loin de la toundra et des glaciers. De soirées arrosées dans des discothèques à de criants moments de solitudes, l’auteure décortique les relations amoureuses et les peurs de ses personnages pour en révéler une thématique universelle : la nécessité d’établir une communication efficace avec son entourage.

L’intérêt pour Homo Sapienne est tel qu’en plus d’une édition francophone au Canada (2017), l’ouvrage sera bientôt publié dans près d’une dizaine de marchés. Au Groenland, plus de 3000 exemplaires de l’oeuvre de la jeune auteure de 27 ans ont été vendus depuis 2014, pour une population totale de 56 000 personnes.

Pourquoi ce roman coup de poing, ces quelque 200 pages d’amour et de tristesse entrelacés dans l’interdit, dans la confrontation avec soi-même? Radio-Canada en a discuté avec Niviaq Korneliussen lors de son passage à Montréal.

« Homo sapienne », Niviaq Korneliussen, La peuplade, 17 octobre 2017

« Homo sapienne », Niviaq Korneliussen, La peuplade, 17 octobre 2017

Photo : La Peuplade

Q: Qu’est-ce qui motive votre écriture?

R: J’ai grandi dans un très petit village dans le sud du Groenland qui compte 1500 habitants (Nanortalik). Écrire est devenu ma façon de créer quelque chose qui n’existait pas vraiment dans notre société, ma façon de communiquer avec les autres, de m’exprimer.

Q: Vos personnages évoluent en toute liberté entre différentes langues et, tout au long du livre, la communication est un thème de premier plan. Est-ce une particularité du Groenland?

R: Lorsque j’ai commencé à rédiger ce livre, il était très important pour moi d’écrire un roman dans lequel les gens pourraient se reconnaître. Les cinq personnages communiquent ensemble, ils se parlent et s’écrivent, ils utilisent les textos et Facebook. En même temps, ils ne réussissent pas vraiment à se comprendre.

Au Groenland, nous utilisons plusieurs langues. Il y a le groenlandais en premier lieu, mais il faut tout traduire en danois puisque nous sommes une population mixte. Maintenant, les gens souhaitent écrire davantage en anglais, parce que nous essayons de nous éloigner de la période postcoloniale.

La capitale du Groenland, Nuuk.

La capitale du Groenland, Nuuk.

Photo : Pixabay

Q: Est-ce que certaines personnes au Groenland n'aiment pas la façon dont vous présentez votre société? Vous a-t-on dit que vous n’auriez pas dû parler de certaines choses, particulièrement en ce qui a trait à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle?

R: Pas en ce qui a trait à la thématique queer. On ne m’a jamais dit que je n’aurais pas dû en parler. Nous sommes une société très ouverte et nos droits sont les exactement les mêmes que ceux des hétéros.

Mais il y a le chapitre « Walk of Shame », celui d’Arnaq. Elle est une alcoolique qui a été abusée sexuellement par son père et elle blâme tout le monde pour ses problèmes. Au Groenland, certains croient que j’ai écrit ce livre simplement pour devenir populaire au Danemark, puisqu’il y a de nombreux stéréotypes envers les Groenlandais là-bas.

Plusieurs personnes trouvent mon livre libérateur parce qu’ils croient qu’il est important de parler de ces choses. Il est nécessaire que la société soit critiquée par ses propres gens.

Q: Vos personnages sont urbains et pourraient évoluer dans une grande ville…

R: Certains croient que le Groenland n’est qu’une île avec de la glace et que nous vivons dans des igloos avec des ours polaires comme animaux de compagnie. Oui, nous vivons dans une petite société, mais je trouvais important de montrer que nous vivons une vie moderne. Nous sommes juste isolés géographiquement.

Q: Quelle est votre relation envers le colonialisme et le postcolonialisme, avec lesquels un État comme le Groenland doit vivre?

R: Les gens au Groenland essaient de revenir à leurs racines, ce qui est normal après avoir été colonisé. Je trouve que c’est nécessaire, mais en même temps, il y a de la haine envers les étrangers et beaucoup d’ignorance. Nous sommes une petite société et nous avons besoin que tous y prennent part et trouvent le moyen d’y collaborer.

J’ai découvert, en rencontrant des étudiants inuits à Montréal, que j’étais privilégiée. Ils ont été colonisés d’une façon très dure, en comparaison. Ils sont en danger, leur langue est en danger et leur culture l’est tout autant. Je me sens privilégiée que mes colonisateurs n’aient pas été aussi méchants.

Q: Votre roman se lit comme des cercles concentriques, comme une spirale. Est-ce une métaphore pour le Groenland?

R: Je voulais mettre en mots ce que ma société vit la plupart du temps. Nous tournons en rond et nous ne pouvons aller nulle part puisque nous vivons sur une île, alors les problèmes se répètent constamment.

Q: Croyez-vous que le Groenland, comme vos personnages, a besoin d’évoluer pour aller de l’avant?

R: Oui, définitivement! Je ne veux pas seulement critiquer mon peuple. Il y a de nombreux jeunes qui veulent regarder les problématiques sous un nouvel angle et participer au changement dans notre société.

Q : Était-ce important d’utiliser le danois, la langue des colonisateurs, pour propager votre oeuvre?

R: Je sens qu’une langue est seulement un moyen de communication. Ma langue maternelle est bien sûr très importante pour moi. Mais je percevais que j’avais un devoir de montrer ce qu’était le Groenland. Et il fallait le faire en danois, puisqu’il y a de nombreux Danois qui pourraient en apprendre grâce à ce livre.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

En cours de chargement...

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.