Fred Pellerin est aujourd’hui fier propriétaire d’une érablière. Cet amour de la terre, cette passion pour les sucres, ce solide ancrage, il les partage avec un autre poète-conteur, un autre ami, Gilles Vigneault. Celui-là même qui écrivait :
« En forêt,
Le silence,
C’est du
Savoir-vivre!
Ce qui laisse
Enfin, la
parole
aux arbres. »
Le conteur de Saint-Élie a acheté six lots au cœur de son patelin pour s’en faire un. Soixante hectares de bois et un lac, un brin d’immensité, une aire de grands silences.
Un jour, il y construira son chalet. Quelques mètres au-dessus du niveau de son lac pour mieux le voir miroiter. Tout près de sa cabane à sucre, qu’il y a déjà construite de ses mains. Dans son bois, qui embaume l’odeur mélangée du billot fraîchement coupé ou de la bûche qu’il vient de glisser dans le poêle.
Ça lui fait grand bien. C’est un espace à silence, à chaleur, à bois de chauffage. À trucs physiques aussi, dit-il. J’ai très bien vécu dans ma tête pendant les 40 premières années de ma vie à lire des romans et à me passionner pour le conte, mais à 40 ans, j’ai parti une chainsaw, j’ai appris à faire de la pitoune! À la main…
Et il a apprécié.
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Fred Pellerin sur sa terre, à quelques pas de chez lui, son espace à silence.Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Il aime se sentir courbaturé après l’effort. Ça vide l’esprit et ça fait travailler un bout de moi que je n’avais pas fait travailler encore.
Fred a renoué ainsi avec un autre pan de famille. Son grand-père paternel, mort au moment où son père n’avait que 5 ans, possédait un moulin à scie. Je suis en train de boucler la boucle…
Son père, André, avait tenté tant de fois de les emmener à sa cabane à sucre, Nicolas et lui. La mère de Fred se souvient de son mari essayant d’inciter ses fils à apprendre les rudiments.
« Mon mari, c’était un gars de bois et il leur disait :
– Venez avec moi, faut que je vous montre comment ça marche, une scie mécanique!
Mais ils ne voulaient rien savoir. Ils ne comprenaient rien là-dedans… Aujourd’hui, Fred comprend », dit-elle en souriant.
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Son père avait bien tenter de lui enseigner plus jeune tous les trucs de la scie mécanique, c'est aujourd'hui qu'il s'y adonne.Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Elle en note les effets. Ils oublient tout, quand ils vont là. Je ne sais pas trop ce qui se passe dans leur tête. Ça doit être comme moi avec mes petites fraises… Il n’y a rien qui existe sur la terre, sauf les petites fraises!
, lance-t-elle dans un éclat de rire.
Son bois, sa cabane à sucre, le tout forme une douce réminiscence paternelle qui s’est unie à cette expérience vécue plus tard avec le célèbre conteur de Natashquan.
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Gilles Vigneault, homme de paroles et ami de Fred Pellerin.Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
L’art et son terroir : de la matière à conteurs
Quand Fred Pellerin parle de Gilles Vigneault, la parole est riche, le respect prend place et la poésie s’anime. L’admiration aussi. Quand Gilles Vigneault parle de Fred Pellerin, un sourire apparaît, le souci de bien décrire les choses s’impose et la profondeur s’entend. L’affection aussi. Fred, c’est un ami
, nous dit Vigneault avec cette intonation qui résonne comme un début de chanson, cette voix si familière à tout Québécois.
Le studio où l’artiste nous reçoit est au cœur de Saint-Placide. À l’image de Saint-Élie, le lieu abrite sa vie de village, comme on le constate en effectuant un petit arrêt au restaurant du coin. Dans cet espace qui sent la friture et qui goûte bon le gâteau aux carottes, une conversation peut se propager de table en table pour gagner tout l’endroit en peu de temps. Le genre de commerce où les citoyens pourraient devenir rapidement personnages dans les yeux d’un conteur. Au même titre que Méo à Saint-Élie ou que Midas à Natashquan.
Dans le studio de M. Vigneault se trouvent des instruments de musique et une longue table avec à son bout une machine à écrire qu’il utilise quand il ne prend pas la plume.
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Gilles Vigneault écrit souvent ses textes avec sa plume.Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Le long des pièces se trouvent des étagères de livres de poésie et d’écriture, des Félix là aussi, témoins de la riche carrière de celui qui arrive justement dans le cadre de porte, flanqué d’un large sourire. Droit comme un chêne, fier comme un poète, alerte comme s’il narguait joyeusement ses 91 ans. On a beau avoir rencontré les Cabrel et les Bécaud, l’apparition d’un Gilles Vigneault crée son effet.
Nous sommes dans un studio d’amis. Tout comme Fred a ses maisons d’amis. Avec cette même simplicité. Et comme chez le Pellerin, on n’est qu’à quelques pas d’une terre peuplée d’érables. Ces érables que Gilles Vigneault a entaillés au fil des dernières décennies, et qu’il entaillera encore. Les points en commun se bousculent.
Pas étonnant que leur première rencontre se soit soldée par la naissance d’une amitié. C’était pour l’émission L’autre midi à la table d’à côté, sur les ondes de Radio-Canada. Au-delà des mots, Vigneault a rapidement noté quelques points qui lui ont plu chez Fred Pellerin. Une franchise
, note-t-il, et surtout, un égard.
Tout d’abord, j’ai trouvé qu’il avait du respect pour les gens de son coin, qu’il respectait les premières personnes qu’il a connues dans la vie. Ses parents, sa fratrie, les gens qui habitent Saint-Élie, raconte M. Vigneault. Tous ces gens qui nous forment, renchérit-il, qui nous enseignent la première culture, les premières règles de la connaissance de l’autre, les premières belles manières.
Du précieux, de plus en plus rare.
Il a retrouvé, dans le village raconté par Fred, les effluves d’une inspiration qu’il connaît bien et qui nourrit densément une création. À mon point de vue, c’est pareil, dit-il. Il s’est beaucoup appuyé sur Saint-Élie comme je me suis beaucoup appuyé sur Natashquan.
Gilles Vigneault voit dans leur art une démarche similaire bien plus qu’une influence qu’il aurait eue sur le conteur de Saint-Élie. Une affection commune et singulière pour leur lieu d’origine, un désir de faire honneur à l’empreinte du terroir sur soi. Une puissante empreinte, qui donne de l’essence au talent et qui vous colore une œuvre.
Le premier point que nous avons en commun, je pense, c’est l’envie de raconter des histoires, mais des histoires en rapport avec la réalité. On essaie toujours de raconter une vérité un petit peu plus profonde que la vérité apparente
, analyse Vigneault.
Quand on prend l’angle de raconter les gens qu’on a admirés tout jeune, on les raconte avec la sincérité de l’enfant qu’on était. Avec la naïveté aussi, dit-il. Pour moi, raconter ça, c’était me raconter moi-même, et je suis persuadé que c’est la même chose pour lui. On a changé les noms et on a raconté la vérité de nos enfances et de notre vie ordinaire.
Plusieurs intérêts communs dont, toujours, ce plaisir de rencontrer l’autre. La foi, ça commence par la foi qu’on a dans l’autre, dit M. Vigneault. J’ai foi en lui. Le canal de la communication s’est ouvert avec Fred et ne s’est jamais refermé, pour plusieurs raisons. Une communion de pensée, une communion de valeurs aussi.
Lorsqu’ils ont enregistré ensemble le documentaire Le goût d’un pays, Fred Pellerin et Gilles Vigneault se sont vus sur une plus longue période. Un moment qui a gravé son sillon dans le cœur du conteur de Saint-Élie. On vivait de quoi d’assez intense, rapporte Fred de son côté. Passer deux semaines à côtoyer Gilles du matin au soir, t’es pas dans la demi-mesure.
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Fred Pellerin espère recevoir Gilles Vigneault dans sa cabane à sucre.Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Quand il parle de Vigneault et de la cabane à sucre, les images valsent entre le passé et le présent. Pour moi, c’est le rapport au père, à la mémoire, au sens, au territoire, le rapport au pays, à la production de quelque chose d’artisanal qui se goûte et qui s’offre. Il y a beaucoup d’étages de symboles pour moi dans la chose du sucre d’érable
, dit Fred.
À la fin du tournage avec Gilles Vigneault, il savait que les sucres et les érables allaient parfumer ses futurs printemps, comme son père y avait goûté avant lui. J’ai enclenché le processus de construction de la cabane à sucre à ce moment-là.
Le résultat est beau.
Aujourd’hui, il a hâte de recevoir Vigneault sur sa terre, dans sa cabane, dans son Saint-Élie. Le rendez-vous est clair pour les deux, il se fera un jour. Au temps des sucres, peut-être.
Dans les deux patelins, en deux temps distincts, devant nous un conteur sourit à cette perspective.
À l’issue de notre entrevue, M. Vigneault fait fi de nos mercis. Plaisir
, dit-il, d’autant plus que la motivation était bien campée dans le cœur de l’ami, et même un peu plus. Fred, c’est comme un frère. Et quand tu peux être là pour un frère, ben t’es là.