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L'astronome amateur Tim Doucette.
Radio-Canada / Glynis Rogers

Texte : Caroline Levesque | Photos : Glynis Rogers

Pratiquement aveugle, Tim Doucette a pourtant une vision nocturne exceptionnelle. Il a, en quelque sorte, un superpouvoir. Une opération aux yeux subie à l’adolescence l’a laissé avec une dilatation disproportionnée des pupilles qui lui permet de voir des détails du ciel et ses étoiles normalement invisibles pour l'œil humain.

Devenu un spécialiste renommé en astronomie, il milite dans sa région de la Nouvelle-Écosse, un véritable bassin d’étoiles, afin de garder le ciel le plus noir possible.

Tim Doucette regarde le ciel étoilé à partir de son observatoire.
Radio-Canada / Glynis Rogers
Photo: L’astronome amateur Tim Doucette regarde le ciel depuis le dôme de son observatoire, à Quinan, en Nouvelle-Écosse.   Crédit: Radio-Canada / Glynis Rogers

« Quand je regarde le ciel, je me déconnecte de tout. C’est à la fois relaxant, spirituel et excitant. L’univers est actif, et je sens que j’ai une connexion avec lui.  »

— Une citation de  Tim Doucette

C’est avec ces mots que Tim Doucette, astronome amateur et astrophotographe, résume toute sa fascination pour la voûte céleste, assis dans son petit observatoire qu’il a lui-même bâti, avec l’aide de sa famille et de ses amis, avec des matériaux recyclés.

Tim Doucette devant son observatoire la nuit.
L’astronome amateur et astrophotographe, Tim Doucette, a construit son petit observatoire avec l’aide de ses amis et sa famille.Photo : Radio-Canada / Glynis Rogers

Inauguré en 2015, son petit havre nommé Deep Eye Sky Observatory est niché sur une grande terre, non loin de l’océan, dans le village acadien de Quinan, où vivent quelques centaines d'habitants, à trois heures de route d’Halifax.

Sa détermination et sa passion ont fait du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse un lieu privilégié pour l’astrotourisme, qui fait vivre la région encore un peu après la saison touristique estivale.

Un observatoire et un ciel étoilé.
Une pluie d’étoiles au-dessus de l’observatoire Deep Eye Sky, dans le village acadien de Quinan, en Nouvelle-Écosse.Photo : Radio-Canada / Glynis Rogers

Tim Doucette y reçoit chaque année des voyageurs d’aussi loin que l’Allemagne, l’Inde ou l’Australie, attirés par la clarté de la Voie lactée et les détails des constellations, un panorama céleste à capturer le temps d’un instant, une précieuse rareté loin de la pollution lumineuse des villes.

Voir le monde différemment

Tim Doucette est légalement aveugle, c’est-à-dire qu’il est fonctionnel, mais ne perçoit que 10 % de ce que perçoit une personne voyante. Pourtant, dans le monde de l'astronomie, il voit plus que quiconque; un pouvoir dont il a pris conscience il y a une dizaine d'années.

Tim Doucette regarde dans un gros télescope.
L’Acadien, Tim Doucette, regarde dans son télescope, situé dans le dôme de son observatoire. Photo : Radio-Canada / Glynis Rogers

Mes yeux étaient si endommagés que le docteur n’aurait pas misé cinq cents sur mes yeux , raconte toujours avec émotion l’homme de 47 ans, né avec des cataractes, une opacité du cristallin de l'œil. Quand j’avais un an et demi, mes parents se sont rendu compte que je pouvais voir quelque chose, parce que j’essayais d’attraper les lumières. Tout le monde a pleuré.

C’est cette même fascination pour la lumière qui l’a conduit à lever les yeux vers le ciel, chaque soir, lorsqu’il était enfant. De la fenêtre de ma chambre, tout ce que je voyais, c’était la Lune, alors je la regardais.

À l’adolescence, au début des années 1990, sa vie a pris un tournant inattendu. À 16 ans, il n’avait que 5 % de champ visuel, malgré plusieurs opérations oculaires au fil des ans. Les cataractes étaient revenues en force. Il a alors subi une autre intervention chirurgicale, cette fois pour retirer complètement le cristallin de ses yeux et augmenter sa vision encore de 5 %.

Cette importante opération l’a laissé avec une dilatation disproportionnée des pupilles. Si la taille normale des pupilles varie de 2 à 8 millimètres selon la luminosité, celles de Tim Doucette sont dilatées en permanence à 13 millimètres. La lumière du jour est donc beaucoup trop forte pour ses yeux non protégés et l'éblouit brutalement. Il doit porter des lunettes de soleil, même par temps nuageux, pour apaiser le malaise.

Mais le soir après son opération, lorsqu’il a levé le regard au ciel, quelque chose avait changé.

Ciel étoilé.
Tim Doucette milite dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, afin de garder le ciel le plus noir possible pour que les citoyens de sa région et les touristes puissent apprécier la splendeur de la voûte céleste. Photo : Radio-Canada / Glynis Rogers

Je pensais que j’avais une rétine détachée parce que je voyais des milliers de points lumineux, je ne savais pas c’était quoi , se remémore-t-il. Sa mère lui a alors indiqué que c’était la Voie lactée, qu’il voyait pour la première fois de sa vie.

« Je ne pouvais pas le croire! C’était comme un rideau qui s’était levé.  »

— Une citation de  Tim Doucette

Lorsqu’il était jeune, Tim Doucette se souvient qu’il se faisait constamment expliquer ce qu’il ne voyait pas. Maintenant, c’est lui qui explique aux gens ce qu’ils ne peuvent percevoir.

Plus les nuits sont longues, plus Tim Doucette est heureux, car il peut se connecter longuement avec l’univers et avoir un plus long répit de la lumière naturelle. Je n’ai jamais aimé le mois de juin, souligne-t-il avec un sourire. On n’a presque pas d’heures de noirceur, alors les nuits sont trop courtes.

Des jeux vidéo au cosmos

Tim Doucette ne serait pas devenu astronome amateur sans que, en 2002, sa femme Amanda le pousse dans cette direction. Pendant longtemps, sa limitation visuelle l’avait découragé d’approfondir le domaine de l’astronomie, malgré un intérêt marqué.

Geek invétéré depuis l’enfance, il pouvait passer, à l’époque, jusqu’à 17 heures par jour devant un ordinateur.

Il jouait à des jeux vidéo, quand il n’était pas en train de travailler comme programmeur en informatique, métier qu’il exerce toujours aujourd’hui avec passion grâce à des fonctionnalités spéciales qui lui permettent de grossir le lettrage sur l’écran.

Tim Doucette assis dans son observatoire.
L’astronome acadien néo-écossais, Tim Doucette, dans son observatoire.Photo : Radio-Canada / Glynis Rogers

Je voulais qu’il se trouve un passe-temps dehors et qu’il découvre autre chose , raconte sa femme, un sourire dans la voix. Ils se sont rencontrés quand ils étaient animateurs dans un camp pour personnes vivant avec déficience visuelle en Ontario en 1993.

Amanda lui a donc acheté un petit télescope, sans se douter qu’elle s’apprêtait à changer le parcours de vie de son mari, qui s’est mis rapidement à passer ses nuits à l’extérieur, jusqu’à s’endormir à la belle étoile.

Voir l’invisible

Quand Tim Doucette regarde dans un télescope, sa rétine est capable de capter certaines longueurs d'onde de la lumière telles que l'ultraviolet (UV), normalement dommageable pour l'œil, et l'infrarouge, des luminosités qui ne devraient pas être perçues par l’œil humain.

Cette acuité visuelle hors du commun lui permet de contempler des détails d'étoiles et de nébuleuses du ciel profond comme personne d’autre.

Certains objets [célestes] sont situés très haut dans l’ultraviolet , explique-t-il.

Grâce à sa réception de l’UV et de l’infrarouge, il voit facilement dans le télescope les ailes d’Oméga, nébuleuse rosée par les gaz et formée de jeunes étoiles particulièrement lumineuses, autour desquelles s'agglutinent d'énormes filaments de poussière interstellaire.

La plupart des observateurs ne perçoivent que sa forme, sans pouvoir apprécier la magnificence de ses détails.

C’est la stupéfaction d’autres astronomes amateurs devant ce qu’il voyait qui a fait prendre conscience à Tim qu’il avait un don. Un soir de 2004, alors qu’il résidait au Nouveau-Brunswick, il s’est présenté à une soirée publique d’observation d’étoiles, organisée par l’Université de Moncton.

Un ami avec qui j’étais m'a demandé ce que je voyais [dans la lentille]. Je lui ai décrit que je voyais comme un nuage d’eau. Il m’a dit : ‘’Je ne pense pas que tu devrais voir cela avec ce télescope.’’

Cette soirée-là, tout le monde le sollicitait, stupéfait par la précision de ses observations, des données connues seulement de manière théorique.

Deux images de la nébuleuse de la Lyre. Celle de gauche comporte beaucoup moins de détails que celle de droite.
La vision nocturne exceptionnelle de Tim Doucette lui permet de voir des détails du ciel et de ses astres normalement invisibles pour l'œil humain.Photo : Gracieuseté de Tim Doucette

« J’avais vu plus de choses ce soir-là dans le télescope que dans toute ma vie.  »

— Une citation de  Tim Doucette

Un des ciels les plus sombres

Il peut maintenant exploiter sa force depuis qu’il est revenu, il y a quelques années, dans sa région natale, réputée internationalement pour son ciel sombre parsemé d’étoiles.

Cette zone nommée The Acadian Skies and Mi’kmaq Lands, qui couvre les municipalités d’Argyle, de Clare et de Yarmouth, est la première destination touristique en Amérique du Nord certifiée par la fondation Starlight pour la protection du ciel à titre de patrimoine naturel, culturel ou scientifique, et appuyée par l’UNESCO.

En 2013, des citoyens impliqués au sein de la Société touristique Bon Temps d'Argyle se sont mobilisés pour aller chercher cette certification pour faire partie du plan de protection du ciel parce qu’ils savaient qu’ils vivaient sous un joyau stellaire.

L’organisation Starlight, située en Espagne, a d’ailleurs récompensé la région en 2019 par un prix d’éducation et de diffusion de l’astronomie. C’est une grande fierté, qui s’accompagne d’un trophée, que Tim Doucette met en évidence dans son observatoire.

Tim Doucette debout dans son observatoire tient un trophée.
Tim Doucette tient avec fierté le trophée remis par l’organisation Starlight, située en Espagne, qui a récompensé la région en 2019 par un prix d’éducation et de diffusion de l’astronomie. Photo : Radio-Canada / Glynis Rogers

Bernice d’Entremont, qui fait partie des gens de la région impliqués auprès de la Société touristique, aime que sa famille puisse profiter d’une expérience immatérielle de façon quotidienne.

J’adore me coucher dans la neige l’hiver avec mes petites-filles et regarder la beauté des étoiles dans le ciel.

La pollution lumineuse : un combat

Tim Doucette se donne comme mission d’aller à la rencontre des élèves dans les écoles pour les sensibiliser à la protection des ciels et à la pollution lumineuse.

Il interpelle également les conseils municipaux de sa ville et des villes avoisinantes au sujet de l’effet de l’éclairage des routes, des commerces et des maisons, une menace pour la biodiversité. Un éclairage diffus et trop lumineux peut modifier le comportement des animaux qui ont besoin de noirceur pour survivre. Une partie d’entre eux, perturbés par la lumière, vont déserter certaines régions.

« Soixante-cinq pour cent de nos visiteurs n’avaient jamais vu la Voie lactée avant. »

— Une citation de  Tim Doucette

C’est entre autres la raison pour laquelle il se bat contre la pollution lumineuse, un fléau à travers le monde.

Un ciel orangé éclairé par les lumières des Serres Toundra.
Un exemple d’éclairage qui crée de la pollution lumineuse, car la lumière n’est pas strictement dirigée vers le sol.Photo : Radio-Canada

Les éclairages de lumière blanche près d’un plan d’eau peuvent générer la croissance d'algues et détruire des écosystèmes aquatiques. Certaines espèces d’insectes, attirées par l’éclairage des lampadaires le soir venu, vont tournoyer autour de ceux-ci et s’épuiser jusqu’à en mourir.

De manière plus générale, chaque année en Amérique du Nord, des millions d’oiseaux migrateurs se tuent en entrant en collision avec des gratte-ciel, déviés de leur route et attirés par les lumières artificielles.

Sans oublier que l'éclairage des villes peut avoir un effet sur notre sommeil s’il est trop intrusif.

La municipalité d’Argyle a pris les demandes de Tim Doucette au sérieux, et depuis l’an dernier, elle a un règlement qui régit l’éclairage extérieur des entreprises et des maisons. Des amendes peuvent être données à tous ceux qui ne respectent pas la direction de l’éclairage et le degré de luminosité permis.

Un chalet illuminé entouré d'arbres.
Le chalet de l’astronome amateur Tim Doucette, situé sur le terrain de son observatoire.Photo : Gracieuseté/Tim Doucette

Il faut dire qu’à quelques lieues de sa communauté se trouve l’aire sauvage Tobeatic, elle aussi inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 20 ans, et où vivent ours noirs, pékans, lynx roux et visons d’Amérique.

C’est une grande réussite pour l’Acadien, qui veut continuer longtemps à admirer de son observatoire la plus grosse planète du système solaire, celle qu’il trouve la plus fascinante : Jupiter et ses différentes lunes, qui gravitent autour et lui créent de l’ombre.

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