Terry Loucks monte dans sa Jeep blanche pour mettre le cap sur le Saguenay plusieurs fois par année avec, à ses côtés, une boîte à lunch faite de métal gris, l’aluminium emblématique de sa région natale.
Elle est identique à celles que des milliers d’ouvriers ont trimballées, jour après jour à partir du milieu des années 20, depuis leur domicile jusqu’à l’aluminerie qui crache, encore aujourd’hui, d’épais nuages de fumée dans le ciel d’Arvida.
Depuis bientôt 100 ans, Arvida, en plein cœur du Saguenay–Lac-Saint-Jean, est considérée comme la capitale mondiale de l'aluminium. L’ancienne usine d’Alcoa, plus tard devenue Alcan, puis vendue à Rio Tinto, demeure le poumon économique de la région. En quête d’une reconnaissance par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO
) pour devenir la « ville construite en 135 jours », citoyens, expatriés et experts se rallient autour d’un objectif commun : préserver le patrimoine des lieux et perpétuer la mémoire de ceux et celles qui ont jeté les bases d’une société nouvelle.L’ancienne ville annexée à Jonquière en 1976, puis à Saguenay au début des années 2000, se démarque par sa vitalité et par le désir des personnes qui y habitent de garder les mémoires du passé intactes.
Quand j’arrive proche du Saguenay, dans le parc, tout me revient
, confie Terry Loucks, ses yeux bleus rieurs affichant soudain un air solennel.
L’homme de 72 ans est aujourd’hui établi à Fitch Bay, en Estrie, mais il a vécu à Arvida pendant 17 ans. Il y a vu le jour en 1948 au son de la sirène marquant le début du quart de travail de 8 h à l’usine d’Alcan, où son père occupait un poste d’ingénieur électrique. Quand Ford Loucks a décidé de quitter son emploi à la General Electric, en Ontario, en 1942, lui et son épouse, Helen, ont jeté leur dévolu sur Arvida, ville planifiée, lieu de tous les possibles.
Le couple a élu domicile dans un minuscule appartement situé au-dessus du supermarché Steinberg, au cœur d’un centre-ville imaginé par des architectes avant-gardistes, qui avaient reçu le mandat de favoriser l’épanouissement des habitants de la cité construite de toutes pièces autour de l’usine Alcoa, alors dirigée par l’industriel américain Arthur Vining Davis (Ar-Vi-Da).
Ça faisait 12 pieds par 20 pieds. C’était un tout petit appartement
, se remémore Terry Loucks, évoquant le vague souvenir de son premier logis. Il se trouve alors assis sur un banc de parc à la place du Conte, située à un jet de pierre de l’ancien marché, plus tard converti en immeuble commercial abritant la bibliothèque municipale.
En 2018, la Ville de Saguenay, dont fait partie Arvida, a fini par arracher le revêtement qui a longtemps recouvert les charmes du bâtiment négligé au fil des ans. Au terme d’un projet de restauration, la bibliothèque a retrouvé ses lettres de noblesse, et l’immeuble, son cachet patrimonial.
Lors des travaux, le coloré Terry Loucks, qui voue un amour inconditionnel à son ancien patelin en dépit d’un exil de plus de 55 ans, est parti avec la porte de l’ancien appartement familial sous le bras. Le numéro 4 : précieux souvenir d’un passé dont il demeure nostalgique.