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Ce qu’un débat sur le hot-dog nous dit sur la polarisation
Le tribalisme est bien ancré dans la nature humaine, quel que soit l'enjeu.
Un hot-dog avec de la moutarde Photo : iStock
Un hot-dog est-il un sandwich? Cette question insolite, qui suscite des débats enflammés sur les réseaux sociaux, est révélatrice de la nature humaine et de notre tendance à la polarisation.
Un texte de Bouchra Ouatik
Posez-la question autour de vous : un hot-dog peut-il être considéré comme un sandwich? Les chances sont grandes pour que cette question suscite autant de réactions chez vos interlocuteurs qu'elle n'en a soulevé parmi les Décrypteurs.
D’un côté, ceux qui croient, comme l’auteure de ce texte, que des aliments dans un pain suffisent à en faire un sandwich. De l’autre, ceux qui soutiennent, comme mon collègue Jeff Yates, qu’un hot-dog est dans une catégorie à part et que c’est une hérésie de vouloir l’appeler un « sandwich ».
Chaque fois que ce débat est lancé, les adeptes des deux camps se dressent les uns contre les autres, n’écoutent plus les arguments de leur interlocuteur et sont sidérés de l'existence même de l’opinion adverse.
Si la question du hot-dog est futile, les comportements qu'elle provoque sont pourtant identiques à ceux qui se manifestent relativement à des sujets plus sérieux, comme l’environnement, l’immigration ou l’avortement.
Pourquoi l’on se divise si rapidement
Pour comprendre pourquoi un être humain a tendance à se dresser contre ceux qui ne voient pas le monde de la même manière que lui, nous avons contacté un expert en polarisation, David Berreby, auteur du livre Us and Them: Understanding Your Tribal Mind (en français : « Nous et eux : comprendre son esprit tribal »).
Avant de répondre à nos questions, M. Berreby a tenu à savoir si nous considérions un hot-dog comme un sandwich. Devant notre réponse affirmative, sa réaction a été immédiate : « Dans ce cas, je ne peux pas vous parler! », s’est-il exclamé en riant.
David Berreby n’est pas surpris que le débat sur le hot-dog suscite autant d’émotions. C’est le même phénomène observé autour de la robe qui était bleue et noire pour certains, mais blanche et or pour d’autres, ou encore de l’enregistrement dans lequel certains entendaient « Laurel » et d’autres, « Yanny ».
Selon M. Berreby, les gens ont un instinct naturel à se regrouper, et deviennent rapidement méfiants envers ceux qui ne font pas partie de leur camp. Cet instinct a été essentiel à la survie de l’espèce humaine, explique l’expert.
Nous sommes des animaux sociaux, des primates, et notre façon de survivre, c’est d’avoir des liens avec des gens sur qui on peut compter mutuellement. Nous n’avons pas de griffes ou d’ailes [pour nous protéger], alors c’est important pour nous de savoir qui sont nos amis.
Il existe des sujets naturels de division dans la société : l’origine ethnique, la religion, les convictions politiques, la classe sociale, etc. Mais des recherches scientifiques ont démontré qu’il ne suffit de presque rien pour créer des divisions profondes dans la société.
Le psychologue turc Muzafer Sherif l’a démontré dans son expérience de « la caverne des voleurs » en 1953. L’expérience a été menée dans un camp de vacances avec 22 garçons de 10 ans à 12 ans, qui venaient tous du même milieu social. Les garçons ont été séparés en deux groupes, de manière aléatoire.
Même si les garçons étaient en tous points semblables, la polarisation fut immédiate. « Ces deux groupes se sont transformés en tribus extrêmement hostiles », explique David Berreby. « Ils ont développé leur propre drapeau, leur propre culture, ils refusaient de manger ensemble, et l’expérience a dû être interrompue parce qu’ils commençaient à faire des plans pour s’attaquer les uns aux autres. »
Cette tendance à se polariser devient problématique lorsqu’elle est instrumentalisée par des dirigeants politiques, souligne David Berreby. « Pour en arriver à se dire : “Je ne veux pas que tel groupe ait le droit de vote” ou “Je veux qu’ils soient dans un camp de réfugiés”, il faut une action, il faut que quelqu’un exploite cette tendance et aille à l’encontre de notre tendance à être flexible sur nos positions. »
Quand les faits ne comptent plus
Dans le débat du hot-dog, comme dans d’autres débats plus sérieux, une fois que notre idée est faite, il devient difficile de changer d’avis ou même d’écouter la position du camp adverse. À ce moment, explique David Berreby, les faits ne comptent plus.
[Les gens] sentent que ce qui est le plus important quand ils donnent leur opinion, c’est de rester loyal à leur groupe. Ça devient plus important que de considérer les faits.
L’enjeu des changements climatiques illustre bien ce débat, indique David Berreby. Il explique que des études ont démontré que le climatoscepticisme ne dépend pas du niveau de scolarité. « Les gens sentent que leur position face aux changements climatiques est un insigne d’appartenance à leur communauté », souligne-t-il. Ainsi, au lieu de changer d’avis sur les changements climatiques, une personne climatosceptique plus éduquée sera encore plus confortée dans sa position.
Lorsque le débat touche des sujets plus sensibles, tels que l’avortement ou la religion, le sentiment d’appartenance à son camp devient encore plus fort, ajoute M. Berreby. « Quand ça implique des valeurs sacrées, essentielles à votre groupe, à votre identité et à votre sentiment d’être une bonne personne, alors vous ne pouvez plus faire de compromis. Cela devient un affront à votre identité. »
Les débats touchant à la religion sont susceptibles de créer de la polarisation. Photo : The Canadian Press/Graham Hughes
Comment réconcilier les deux camps adverses
Bien que notre nature humaine nous porte vers la polarisation, nous avons aussi tendance à coopérer, surtout face à une menace commune. Selon David Berreby, c’est la clé pour contrecarrer le tribalisme. Dans l’expérience de « la caverne des voleurs », le chercheur Muzafer Sherif avait réussi à réconcilier les deux groupes de garçons en créant des activités où ils n’avaient pas le choix de s’entraider.
En se disant : “Nous sommes tous là-dedans ensemble, nous devons résoudre ce problème ensemble”, ces groupes, qui étaient si importants la semaine précédente, ne comptaient plus autant.
Dans le débat autour des changements climatiques, M. Berreby est d'avis que la division se dissipera d’elle-même au fur et à mesure que les gens feront face aux conséquences de ces changements. « La nature se fiche de ce nous que croyons, dit-il. Les gens vont se dire : “Nous faisons face à des inondations, nous ne pouvons plus vivre ici” [...] On voit que c’est déjà le cas. »
Les gens vont s’unir quand ils feront face à une menace.
Pour résoudre des conflits dans lesquels aucune menace n’est imminente, comme celui du hot-dog, David Berreby suggère de « créer un sentiment de solidarité » en trouvant des points communs entre les deux camps. « Les leaders politiques les plus importants des 50 dernières années ont été capables de faire cela. »
Face aux conséquences des changements climatiques, la polarisation autour de cet enjeu risque de disparaître. Photo : AFP/Getty Images/Loic Venance
Finalement, un hot-dog est-il un sandwich?
Quant à savoir si un hot-dog est véritablement un sandwich, les deux camps ont chacun leurs arguments.
Le National Hot Dog and Sausage Council — l’association américaine de l’industrie du hot-dog — a officiellement pris position. Selon cette association, ce mets est dans une catégorie à part. Le président de l’association a déclaré que « de limiter la signification d’un hot-dog en disant que c’est “juste un sandwich”, c’est comme de dire que le dalaï-lama est “juste un gars” ».
Pourtant, du côté du département américain de l’Agriculture, un produit qui contient de la viande cuite et du pain est considéré comme un sandwich, ce qui englobe le hot-dog.
Le site Internet Cube Rule, qui classifie les aliments selon leur forme géométrique, prend une autre direction. Selon ce site, un sandwich est défini par une garniture entre deux tranches de pain, ce qui exclut le hot-dog. Ce dernier se classerait plutôt... dans la catégorie du taco.
Bien qu’il soit conscient des partis pris psychologiques à l’œuvre dans ce débat, David Berreby campe néanmoins sur ses positions. « Je ne vois pas comment vous pouvez dire que c’est un sandwich. Ce n’est pas plat, il n’y a pas de viande en tranches à l’intérieur. C’est autre chose. »
Alexis est journaliste à Radio-Canada depuis 2004. Il a été tour à tour reporter, chroniqueur à la revue de presse à RDI Matin et chef d'antenne à ICI RDI. Il a aussi été envoyé spécial à Washington pour couvrir l'investiture de Donald Trump et chef d'antenne aux JO de Rio et Pyeongchang.
Marie-Pier Élie
Marie-Pier est journaliste scientifique depuis plus de 20 ans. Tour à tour animatrice, chroniqueuse et reporter, à la télévision, à la radio et à l'écrit, ses talents de vulgarisatrice ont été récompensés par de nombreux prix. Elle coanime le magazine Le Gros laboratoire et collabore chaque semaine à l'émission de radio Les Années lumière.
Jeff Yates
Jeff couvre la désinformation sur le web depuis la création du blogue Inspecteur viral en 2014, ce qui en fait l'un des premiers journalistes au Québec à s'intéresser aux fausses nouvelles. Il a été invité de nombreuses fois à titre de conférencier et d'expert pour expliquer le phénomène.
Nicholas De Rosa
Nicholas est journaliste depuis 2016. Il baigne depuis longtemps dans la cyberculture et s’intéresse aux phénomènes propres au web. Il a signé plusieurs articles sur la radicalisation en ligne et la désinformation avant de couvrir l'actualité technologique pour Radio-Canada.
Alexis De Lancer
Alexis est journaliste à Radio-Canada depuis 2004. Il a été tour à tour reporter, chroniqueur à la revue de presse à RDI Matin et chef d'antenne à ICI RDI. Il a aussi été envoyé spécial à Washington pour couvrir l'investiture de Donald Trump et chef d'antenne aux JO de Rio et Pyeongchang.
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Jeff Yates
Jeff couvre la désinformation sur le web depuis la création du blogue Inspecteur viral en 2014, ce qui en fait l'un des premiers journalistes au Québec à s'intéresser aux fausses nouvelles. Il a été invité de nombreuses fois à titre de conférencier et d'expert pour expliquer le phénomène.
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