
Les chantiers de la Baie-James : prédire l’imprévisible
Les chantiers de la Baie-James : prédire l’imprévisible
En 1969, au cœur de la Révolution tranquille, est fondé l'Institut national de recherche scientifique (INRS). Sa mission : promouvoir la recherche et l'enseignement pour développer les cerveaux qui contribueront à transformer le Québec. Aujourd'hui, l'INRS célèbre ses 50 ans. Pour souligner l'occasion, nous vous présentons cinq réalisations scientifiques qui ont révolutionné le Québec.
- 25 novembre : s'attaquer aux épidémies
- 26 novembre : la lutte antidopage
- 27 novembre : les chantiers de la Baie-James
- 28 novembre : l'instauration d'une politique familiale
- 29 novembre : l'évolution du laser
Texte : Gabrielle Thibault-Delorme / CONTENU PARTENARIAT
Les grandes transformations du Québec ont pris de nombreuses années, voire des décennies, avant de voir le jour. Et même si la Révolution tranquille est souvent perçue comme le début des grands projets, la plupart remontent plus loin dans le temps.
Les grands projets de barrages hydroélectriques en font partie. S'ils bénéficient sous René Lévesque d’une impulsion nouvelle, les jalons sont posés dès les années 40, avec la création d’Hydro-Québec, en 1944, et le début de l’exploration des rivières du nord par l’ingénieur H. M. Finlayson.
Les rivières du Nord s’annoncent prometteuses pour le développement, mais les difficultés d’analyse se présentent déjà. Lors de son analyse de la Saint-Maurice, Finlayson reconnaissait la difficulté de créer un nouveau modèle de prédiction des crues.
« En ce qui concerne les principales rivières du Québec, les caractéristiques de la crue printanière semblent être associées à de nombreux phénomènes naturels qui prévalent pendant cette période. Aucune de celles-ci ne peut être prédite et chacune d’elles est sujette à de grands écarts par rapport à la normale », a-t-il écrit dans le rapport Snow-Melt as a Factor in Quebec Stream-Flow.
Quand le choix de la rivière La Grande a été fixé pour la construction des grands barrages, la prédiction des crues était essentielle à la réussite du projet. L’INRS a été mis à contribution, avec une équipe formée de Jean-Pierre Villeneuve, Bernard Bobée, Rémi Charbonneau, Jean-Pierre Fortin, P. Vabre et Michel Leclerc. Mais le défi était de taille.
Dès le départ, les chercheurs se butent à de grandes difficultés. Les données sont nettement insuffisantes pour prédire la crue à l’aide du modèle traditionnel. Le modèle statistique, qui se fiait à un échantillon de données des crues des années précédentes, est rapidement éliminé.
Des pionniers
Un nouveau modèle, appelé modèle « déterministe », voyait le jour un peu partout dans le monde. Accessible à l’aide d’ordinateurs super-puissants (pour les années 70), ce modèle permettait des simulations de la montée des eaux dans le bassin et de son écoulement dans les cours d’eau environnants.
Le modèle avait montré de bons résultats ailleurs dans le monde, mais il n’avait encore jamais été mis à l’épreuve au Québec. À partir des informations recueillies dans les années 60 et 70, les chercheurs ont réussi à produire des simulations de crues maximales de la rivière La Grande. Ils ont ensuite appliqué leur modèle à des conditions extrêmes.
« Ils ont vraiment été des pionniers dans la compréhension de ces systèmes », affirme le chercheur Karem Chokmani. Leurs modèles de simulation des crues de la rivière La Grande ont rendu possible la construction des grands barrages hydroélectriques.
L’expertise en hydrologie de l’INRS a également servi à la suite des inondations au Saguenay. Après le désastre, Hydro-Québec s’est à nouveau tournée vers l’INRS pour revoir les dimensions des barrages de Pont-Arnaud et de Chute-Garneau. À l’aide du modèle de simulations des crues, les équipes ont pu reproduire la tragédie et ainsi conseiller le gouvernement.
Un problème d’aujourd’hui
De nos jours, les modèles de prévision des crues sont de nouveau mis à l’épreuve. Les probabilités d’inondations augmentent en raison des changements climatiques et les gouvernements doivent prévoir des fonds supplémentaires en cas d’inondations.
« On développe des outils pour les gestionnaires pour gérer ces risques », explique le professeur Karem Chokmani. Son équipe est d’ailleurs derrière l’application E-nundation, qui fournit, dans un court délai, la cartographie des zones inondables, mais aussi l’estimation, l’analyse et la visualisation des risques d’inondation.
« Le problème des inondations est un problème d’aujourd’hui », souligne le chercheur Karem Chokmani. « On se trouve maintenant dans une période charnière. On n’est plus sûrs que le passé est garant de l’avenir. »