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![]() Théâtre ![]() Woyzeck: rouge, couleur passion...Lili Marin est journaliste à Radio-Canada.ca. Mise à jour le lundi 23 mars 2009 à 15 h 24 ![]() Une critique de Lili Marin
Un long rêve bizarre, comme on en fait lorsqu'on est particulièrement fiévreux, voilà dans quoi Brigitte Haentjens plonge les spectateurs avec son adaptation très québécoise de Woyzeck. Considérée comme un chef-d'oeuvre, la pièce de l'Allemand Georg Büchner laisse pour le moins perplexe dans cette lecture contemporaine, qui pèche par son esthétique éclatée. On attendait beaucoup de cette onzième production de Sibyllines, une compagnie capable de remuer des idées de façon viscérale tout comme de scruter des émotions de manière cérébrale. C'est que la fulgurance de Marc Béland dans Hamlet-machine, en 2001, était du genre à créer une dépendance aussi dérangeante qu'une substance opiacée. Certes, l'acteur incarne, encore une fois, le rôle-titre, mais il ne dispose pas de la place nécessaire pour laisser une marque aussi forte. Peut-être est-ce attribuable à la structure de la pièce ou, justement, à son absence de structure. Laissée inachevée par son auteur emporté prématurément par le typhus, elle n'est que fragments. Écrite dans la première moitié du 19e siècle, la pièce préfigure, pour plusieurs, le théâtre moderne. Elle parle d'un homme dépossédé de sa dignité, que le carcan moral des conventions judéo-chrétiennes et l'ordre socio-économique étouffent au point de le pousser à commettre l'irréparable. Espèce de sous-prolétaire, Woyzeck se fait dicter quoi faire par un capitaine, subit les expériences douteuses d'un inquiétant docteur et se fait tromper avec un tambour-major par la mère de son enfant. Le désespoir de Woyzeck se traduit parfois par des déclarations très poétiques: « C'est un beau ciel dur et gris. On aurait envie de poser un crochet dedans pour se pendre. » Cependant, ce texte est parasité par des bribes de chansons rajoutées pour l'adaptation. Cette audace charme lorsque Évelyne Rompré fredonne un bel air traditionnel en poussant son landau, mais qui détonne lorsque s'alignent les extraits d'opéra rock de Luc Plamondon ou un succès de Zachary Richard beuglé par Sébastien Ricard. Et il n'y a pas que la brillantine dans les cheveux de ce dernier pour rappeler Grease: certains tableaux dansés évoquent les années 1950.
Les styles et les couleurs des costumes brouillent aussi les pistes, tout comme les nombreux passages comiques tranchent avec les errances philosophiques du personnage principal. L'oeuvre se révèle pleine de contrastes, magnifiée par une spectaculaire scénographie de bois et de métal rouge ainsi que par une distribution de haut calibre. Le dénouement de l'intrigue se révèle toutefois aussi lourd qu'un corps mort qui s'écrase contre le sol. WoyzeckTexte: Georg Büchner À lire aussi 27 mars 2009 La fusion du ballet et du breakdance23 mars 2009 Woyzeck: rouge, couleur passion...13 mars 2009 Hôtel Pacifique: le couple dans l'impasse5 mars 2009 «Réveillez-vous et chantez!»... un air suranné26 février 2009 Un Bollywood, P.Q., kitsch et wild13 février 2009 Le théâtre abstrait de Christian Lapointe9 février 2009 Kiss Bill 2: la violence ridiculisée30 janvier 2009 Scotstown, l'aliénation du Québec profond23 janvier 2009 Le pillowman ou la fin de l'innocence |