Une campagne de peur
Cette
histoire débute en janvier 1959, au cur d'un pays en
pleine révolution, au moment où Fidel Castro défile
triomphant dans les rues de La Havane à Cuba. Mais l'euphorie
collective qu'entraîne la chute du dictateur Batista fait
place peu à peu à l'inquiétude. Le clergé
catholique, qui s'oppose à certaines réformes, fait
l'objet de répression. Les arrestations d'opposants se multiplient
et des histoires inquiétantes circulent. Ces histoires sont
principalement véhiculées par Radio Swan, une radio
privée hostile au nouveau régime cubain et qui émet
depuis une île au large du Honduras. La radio annonce qu'il
y aura bientôt une loi à Cuba qui obligera les enfants
à quitter leurs parents : « Ils
vous prendront vos enfants quand ils auront cinq ans et les garderont
jusqu'à l'âge de 18 ans. Ne leur laissez pas vos enfants!
Allez à l'église et suivez les instructions de votre
clergé. »
Même
le très sérieux Time Magazine aux États-Unis
parle d'un projet de loi cubain visant à nationaliser les
familles. L'article, daté du 6 octobre 1961, explique que
les enfants de trois à dix ans vivraient dans des dortoirs
d'État et ne verraient leurs parents que deux fois par mois.
Le
rôle de la CIA
Des
documents déclassifiés récemment prouvent que
la CIA était effectivement impliquée dans l'Opération
Pedro Pan. Les informations propagées par Radio Swan, sur
la nationalisation des familles, se sont révélées
fausses.
Wayne
Smith était conseiller de l'ambassadeur américain
au moment de la révolution cubaine. Il a connu le directeur
de Radio Swan, David Phillips. Selon Wayne Smith, cette histoire
de nationalisation des familles était fausse et elle a été
largement diffusée par Radio Swan et par des agents de la
CIA pour nourrir le mécontentement populaire envers le gouvernement.
Très actif en Amérique latine à cette époque,
David Phillips était un agent de la CIA, spécialisé
dans les opérations noires. En 1954, au Guatemala, il dirigeait
la campagne de propagande et sa station de radio a permis de renverser
le gouvernement élu de Jacobo Arbenz en diffusant de la fausse
information. Au début des années 70, il a aussi participé
à une mission secrète qui visait à empêcher
la prise de pouvoir de Salvador Allende au Chili. On aurait même
vu cet homme en compagnie de Lee Harvey Oswald, quelques semaines
avant l'assassinat du président Kennedy.
Poussés
par Radio Swan, les parents désespérés se précipitaient
vers le groupe Rescate, ne sachant pas que cette organisation était
financée par la CIA.
Albertina
O'Farril reconnaît aujourd'hui avoir fait partie de cette
organisation clandestine composée de riches Cubains impliqués
dans l'Opération Pedro Pan. Albertina O'Farril confirme qu'en
plus de permettre à des enfants de quitter Cuba, le groupe
Rescate participait à des activités d'espionnage et
de subversion. Ce groupe a imprimé le faux projet de décret
gouvernemental confirmant que l'État cubain allait nationaliser
les familles. Rescate a aussi été impliqué
dans deux tentatives d'assassinat contre Fidel Castro.
Radio
Swan et Rescate faisaient partie d'une vaste opération autorisée
par le président Eisenhower en mars 1960, pour renverser
le régime Castro.
L'Opération
Mangouste
L'échec
de l'invasion de la Baie des Cochons marque la fin du programme
de subversion initié par le président Eisenhower,
mais surtout détruit les espoirs des enfants de Pedro Pan
qui rêvaient de revoir rapidement leurs parents.
L'exploitation politique des enfants cubains continue avec le président
Kennedy, qui autorise un vaste plan pour déstabiliser et
saboter le régime cubain : l'Opération Mangouste.
Maria
Torres, une enfant de Pedro Pan, enquête depuis dix ans sur
l'exode des enfants cubains. Elle est chercheuse et professeure
de sciences politiques à l'Université DePaul de Chicago.
Elle a appris qu'avec l'Opération Mangouste, on voulait notamment
exploiter l'image des enfants. Le gouvernement américain
a réalisé un film de propagande, qui s'adressait avant
tout aux pays latino-américains tentés de suivre l'exemple
cubain.
Maria
Torres a mis la main sur d'autres documents déclassifiés
qui démontrent que le gouvernement américain ne voulait
pas que les familles se réunissent. Le gouvernement américain
a refusé l'offre des Nations unies de payer des billets d'avion
aux parents cubains désireux de retrouver leurs enfants aux
États-Unis. Par cette décision politique, le gouvernement
américain empêchait ainsi des milliers d'enfants de
vivre avec leurs parents.
Des
enfants déracinés
Ces
milliers d'enfants ont été pris en charge à
leur arrivée à Miami par le Catholic Welfare Bureau,
dirigé par le père Walsh. En raison des tensions grandissantes
entre Cuba et les États-Unis, les parents tardent à
rejoindre leurs enfants. Comme les camps sont débordés,
le Catholic Welfare Bureau décide d'envoyer les jeunes Cubains
partout au pays, dans des maisons de redressement, des orphelinats
ou encore des familles d'accueil.
Candy
Sosa, une enfant de Pedro Pan, chante aujourd'hui dans différentes
boîtes de nuit dans les environs de Los Angeles. Sa mère,
comme bon nombre de parents, a envoyé trois de ses quatre
enfants à l'abri, aux États-Unis. Les parents pensaient
rejoindre leurs petits quelques semaines plus tard.
Candy
Sosa passera quelque temps dans les camps du Catholic Welfare Bureau : « C'était
comme un camp militaire. Au début, j'ai eu de la difficulté
à m'adapter parce que je n'étais pas habituée
à ça. Mais mon frère était séparé
de nous et c'était pire pour lui; c'était l'agonie. »
Ensuite, elle a été dans une famille. Elle sera abusée
sexuellement durant un an et demi. Lorsque ses parents arrivent
finalement aux États-Unis, la famille qui se présente
à elle n'a plus rien à voir avec ses souvenirs d'enfance.
Rafael
Ravelo est un autre enfant de Pedro Pan. À 13 ans, il quitte
ses parents et ses trois surs. Les frères des écoles
chrétiennes ont convaincu la mère d'envoyer son fils
aux États-Unis jusqu'à ce que Fidel Castro perde le
pouvoir. Rafael Ravelo, visiblement très ému : « Lorsque
j'ai quitté Cuba, je me souviens surtout de mon père.
Je n'avais jamais vu mon père pleurer et il ne m'embrassait
jamais. Mais ce matin là, il s'est levé à 5
heures et il n'arrêtait pas de pleurer. Il m'a serré
dans ses bras et il m'a dit que les frères des écoles
chrétiennes étaient de bonnes personnes. Il n'est
pas venu à l'aéroport. » Après
18 ans d'exil, il retrouvera enfin sa famille.
Emilio
Cueto est avocat à la Banque interaméricaine de développement.
Cet enfant de Pedro Pan est resté seul puisque sa famille
n'est jamais venue le rejoindre aux États-Unis. La majorité
des enfants on attendu en moyenne quatre à cinq ans avant
de retrouver leurs parents. Pour d'autres, les retrouvailles tardent.
Emilio Cueto ne reverra sa famille que 16 ans plus tard. Son appartement
est rempli d'objets et de souvenirs cubains. Emilio Cueto : « Voici
ma chambre, je dors chaque nuit à La Havane, avec visa, sans
visa, si le gouvernement le veut ou pas. Mais surtout, je refais
le pays qui n'existe pas car ici se trouvent les gens qui se trouvent
à Cuba et à l'extérieur. Quand même,
on ne peut pas vivre séparés toute la vie, il faut
que ça finisse un jour. »
En
conclusion
Que
ce soit Candy Sosa, Rafael Ravelo ou Emilio Cueto, les enfants de
Pedro Pan sont les enfants d'une guerre froide, manipulés
par des adultes. Ils les ont utilisés comme de petits automates
que l'on monte et démonte afin d'animer le grand jeu politique
- un jeu d'adultes qui ne se soucie guère du bien-être
des petits.
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