Il
est 8 heures, un petit samedi matin de novembre. Quelque 273 mordus
des jeux vidéo en ligne attendent avec impatience d'entrer
au cégep Édouard-Montpetit de Longueuil pour une fin
de semaine de tournoi. Les joueuses, elles, sont rares. On en compte
trois seulement.
Tous
rebaptisés d'un pseudonyme, les gamers transportent
la panoplie d'accessoires qu'il faut : sur le trottoir, pêle-mêle,
les ordinateurs, sacs de couchage, oreillers et victuailles. Au
Québec, depuis 4 ou 5 ans, il y a des tournois de jeux en
circuit fermé. Des centaines de joueurs s'affrontent dans
un même endroit : on appelle cela des LAN parties, LAN
pour Local Area Network, le système qui les relie. C'est
un des événements favoris des joueurs. L'inscription
pour le week-end coûte 45 $.
Une
fois à l'intérieur, on sent la fébrilité
des joueurs et des organisateurs. De 8 h à midi, c'est
le branle-bas général. Chacun sait très bien
où placer le fil, le câble, la souris. Il y a des kilomètres
de câbles, toutes sortes d'équipements. Un vrai paradis
pour amateurs de jeux vidéo. Il faut des sous pour devenir
gamer. « Gamer », c'est une
appellation contrôlée !
Âgé
de 16 ans, Guillaume Caprini fait partie des joueurs d'élite
au jeu Counter-Strike, un des jeux favoris des gamers
québécois. Il joue depuis deux ans et il joue beaucoup.
« [Je joue] environ huit heures par jour »,
confie-t-il.
Faute
d'avoir ses coéquipiers habituels, Thirteenth Warrior, notre
jeune Guillaume dans la vie de tous les jours, se joint à
l'équipe AND 2. Les hostilités peuvent commencer.
À Counter-Strike, deux équipes de cinq joueurs
s'affrontent : chacune de ces équipes a défini
sa stratégie de jeu. Le jeu requiert toujours beaucoup de
concentration. Pendant une compétition, le niveau d'adrénaline
est encore plus élevé. Mais les concurrents se sont
préparés de longue date en jouant en ligne ou en fréquentant
les salons de jeux.
Qu'est-ce
qu'en pensent les parents ?
Caroline,
sur et tutrice de Guillaume : « [Je
m'inquiète] qu'il passe la nuit, jusqu'au matin, zombie,
le bras qui bouge tout seul ».
Mère
d'un autre joueur : « Je veux qu'il fasse
autre chose. Des fois, je lui botte le derrière pour
qu'il aille jouer dehors, parce qu'il doit prendre de l'air
aussi ! ».
Autre
maman : « On le laisse aller un peu, parce
qu'au moins, il ne boit pas, ne fume pas, ne se drogue pas.
Il est à la maison, je sais où il est, c'est
important ».
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Violence
: passer du jeu à la réalité
Dans
le jeu de Counter-Strike, deux équipes s'affrontent :
les terroristes et les antiterroristes, les bons et les méchants.
Ces guerriers font usage de toutes sortes d'armes : mitraillette,
couteau, revolver, grenade
D'autres jeux se déroulent
pendant la Deuxième Guerre mondiale, où on retrouve
les soldats des deux camps et leur équipement. Mais toujours
il y a du sang, beaucoup de sang !
Sommes-nous en train de créer de véritables petits
monstres ?
David
Grossman est un militaire américain à la retraite.
Il a entrepris une véritable croisade contre la violence
dans les médias et les jeux vidéo. C'est aussi un
spécialiste des armes, consulté par les télévisions
lors d'événements comme l'arrestation des tueurs en
série de Washington. Toute l'année, il fait des conférences
à travers les États-Unis, la plupart du temps devant
des policiers. Graphique à l'appui, il affirme que le taux
de criminalité a augmenté partout dans le monde depuis
trente ans, y compris aux États-Unis et au Canada. David
Grossman n'hésite pas à utiliser l'exemple des massacres
commis dans les écoles de Jonesboro ou de Littleton comme
preuve de sa théorie sur les conséquences néfastes
des jeux vidéo.
Mais
tous ne sont pas du même avis. Le psychologue Jean-Pierre
Rochon croit que les jeunes savent faire la différence. « Ce
qui se passe avec des personnages virtuels ne ressemble pas tellement
à ce qui se passe dans la vraie vie, alors je pense qu'il
y a tout un monde entre les deux et qu'on n'oublie jamais que les
jeux restent virtuels. »
Jean-François
William est très populaire auprès des gamers.
Il a mis sur pied un programme d'études pour les créateurs
de jeux vidéo, et c'est lui qui donnait le coup d'envoi du
tournoi au cégep Édouart-Montpetit. Il a des idées
bien arrêtées sur les effets potentiellement dangereux
des jeux vidéo et sur la hausse du taux de criminalité.
« Attention ! Il n'y a pas de hausse, il y a
une baisse de la criminalité aux États-Unis. C'est
de la désinformation ! Le taux de criminalité
[chez les jeunes de l'âge de ceux qui sont au tournoi] a descendu
drastiquement ces dernières années. Donc, les tatas
qui essayent de nous rabâcher la tête avec la violence
directement causée par les jeux vidéo sont dans les
patates ! »
Le
criminologue Marc Ouimet étudie les causes de la délinquance
et les statistiques de la criminalité. Il confirme les propos
de Jean-François : « Il est vrai qu'il
y a eu augmentation [de la violence] dans nos sociétés
entre 1960 et 1990. Mais depuis 1990, la criminalité comme
les meurtres, les voies de fait et les agressions sexuelles a baissé
de 25, 30, voire même 40 %, autant aux États-Unis
qu'au Canada ». Selon lui, les gens qui défendent
l'idée selon laquelle les jeux vidéo sont nocifs tordent
les statistiques et ne les présentent pas dans leur réalité.
« En fait, le profil du jeune délinquant ne
correspond pas du tout au profil des jeunes joueurs de jeux vidéo.
Le portrait type du délinquant, ce n'est pas du tout ça.
C'est un garçon qui cherche l'excitation, souvent à
l'extérieur de la maison, qui quitte la maison, va dans les
arcades, va dans les parcs. Il s'amuse avec d'autres jeunes. Lui,
il est à la recherche de sensations fortes. Pour ce jeune-là,
les jeux vidéo ne représentent pas nécessairement
quelque chose d'intéressant. »
Au cégep Édouard-Montpetit, les organisateurs du tournoi
ont eu de sérieux problèmes informatiques. Mais les
joueurs ne s'en plaignent pas vraiment. En plus de s'amuser, ils
n'ont pas à suivre les règles qu'imposent habituellement
les parents. Résultat : beaucoup de désordre et peu
de sommeil. « [On a joué toute la nuit]. Peut-être
une heure ou deux de sommeil mais pas plus », nous dit
Guillaume.
Le
coup d'envoi du tournoi n'a été donné que le
dimanche, plutôt que le samedi soir. La pression est de plus
en plus forte pour les équipes qui se rendent aux éliminatoires.
Même avec un handicap important ils sont quatre joueurs
plutôt que cinq l'équipe de Guillaume gagne
en quart de finale, mais elle ne fera pas les demi-finales. Un autre
joueur a dû partir. Malgré cela, Thirteenth Warrior
et ses coéquipiers sont fiers d'eux. Qu'est-ce qui attend
Guillaume ? « Je vais m'en aller aux études.
Je vais aller au cégep. Deux ans de cégep, quatre
ans d'université en génie informatique. C'est le top
des top en informatique. »
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Principaux
jeux utilisés
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- Half-Life
Counter Strike
par Sierra
- Star
Craft par Blizzard Entertainment
- Medal
of Honour par les jeux EA
- Serious
Sam II par Crotea
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La science étudie le phénomène
Alain
Dagher est neurologue à l'Institut de neurologie de Montréal.
Il cherche à comprendre ce qui provoque la libération
de dopamine dans le cerveau. La dopamine, un neurotransmetteur,
a longtemps été considérée comme la
réponse à une activité qui procure du plaisir.
En étudiant le cerveau de gens normaux qui consommaient de
l'alcool ou des amphétamines, et même de la nourriture,
le docteur Dagher et ses collègues ont pu mesurer la libération
de dopamine et voir où cela se passait exactement dans le
cerveau. « On croit que le degré de libération
de dopamine est un facteur de risque pour la dépendance.
Les gens qui libèrent le plus de dopamine, que ce soit en
réponse aux drogues ou, par exemple, aux jeux vidéo,
[démontrent un] risque de devenir dépendant. »

La
cyberdépendance existe bien. Les psychologues ont déjà
commencé à prendre le relais après les résultats
des neurologues. Jean-Pierre Rochon s'intéresse à
cette question depuis plusieurs années. Il a un site Internet
très actif, comme on en trouve un peu partout dans le monde.
Certains dépendants le consultent ainsi de façon anonyme.
Selon lui, on pourrait sans doute évaluer le nombre de cyberdépendants
à 10 % de la population des joueurs, un pourcentage
équivalent au nombre d'alcooliques dans notre société.
« Être
accro au jeu en ligne, c'est une dépendance, au même
titre que les autres dépendances. [Pour diagnostiquer qu'un
jeune souffre de dépendance], je lui demanderais pourquoi
il joue tant d'heures, qu'est-ce que ça lui apporte, est-ce
qu'il aime ses professeurs, est-ce qu'il aime, [ou n'aime] pas étudier ?
C'est tout ça que j'ai tendance à aller questionner
pour savoir pourquoi il a ce comportement-là »,
explique le psychologue.
L'émission
Zone Libre est diffusée sur les ondes de Radio-Canada
le vendredi à 21 h et présentée en rediffusion
sur les ondes de RDI le samedi à 23 h, le dimanche
à 20 h ainsi que le lundi à 1 h.
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