diffusion le 16 novembre 2001  

 

journaliste: Jean-François Lépine
réalisateur: Georges Amar
journaliste Internet: Sophie-Hélène Lebeuf

Ingrid Betancourt
la Don Quichotte de Colombie

Alors candidate à l'élection présidentielle de son pays,Ingrid Betancourt a été enlevée en février par les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Elle lutte depuis des années contre la corruption et la mainmise des barons de la drogue colombiens. Le reportage que nous avons diffusé en novembre dernier trace le portrait de cette femme de courage.


« Le conflit colombien est compliqué. Le combustible qui est en train de faire marcher cette machine de la guerre est le trafic de la drogue. C'est le trafic de la drogue qui finance la guérilla, c'est le trafic de la drogue qui finance les paramilitaires, c'est le trafic de la drogue qui finance aussi beaucoup de politiciens traditionnels, corrompus, qui détiennent le pouvoir. »
Ingrid Betancourt

* * *

Ingrid Betancourt a de l'ambition. Elle veut devenir présidente de la Colombie. Ses objectifs sont à la mesure de ses convictions. Son cheval de bataille: la corruption et le trafic de la cocaïne qui dévastent le pays. Entre les miliciens d'extrême droite et les guérilleros de gauche, la Colombie est en proie à une guerre civile meurtrière où les joueurs se battent pour les revenus du narcotrafic. Ingrid Betancourt se dresse pour mettre fin à la terreur qu'instaurent les narcotrafiquants. Si une partie de ceux contre qui elle se bat ont des mitraillettes, ses armes à elle sont ses convictions. Elle veut mettre un terme au cycle de la violence qui déchire son pays. Au péril de sa vie.

L A   C O L O M B I E   E N   B R E F

Superficie: 1,1 million de kilomètres carrés
Capitale: Bogota
Population: 40,8 millions
Langue: espagnol
Monnaie: peso
Nature de l'État: république unitaire
Nature du régime: démocratie présidentielle
Chef de l'État: Andrés Pastrana

***

ELN: Armée de libération nationale (5000 combattants)
FARC: Forces armées révolutionnaires de Colombie (15 000 combattants), le principal mouvement de guérilla de Colombie et le plus ancien d'Amérique latine

 

Un pays miné par la guerre civile

« La guerilla est corrompue, les paramilitaires sont corrompus, l'Église est corrompue,
dans le journalisme aussi, il y a de la corruption,
vraiment, c'est un cancer.
 »
Mauricio Vargas, rédacteur en chef du journal Cambío

Depuis 50 ans se joue un conflit meurtrier avec, en toile de fond, la corruption et le narcotrafic. Bilan du conflit: 200 000 morts, plus de deux millions de personnes déplacées et des milliers d'enlèvements par an depuis 1964.

« [Dans la dernière année], plus de 4000 personnes ont été victimes d'assassinats politiques, plus de 300 ont "disparu" et quelque 300 000 autres ont vraisemblablement été déplacées à l'intérieur du pays. Au moins 1500 personnes ont été enlevées par des groupes armés d'opposition ou des organisations paramilitaires. »
extrait du du rapport annuel 2001 d'Amnesty international

Le gouvernement contrôle à peine la moitié du territoire. Le reste du pays est aux mains de milices de droite ou de mouvements de guérilla qui se font la guerre pour le partage des revenus du narcotrafic: des milliards de dollars en retombées. Et des pertes en vies humaines qui se chiffrent chaque année par milliers. Malgré l'état de guerre quasi permanent, et malgré les détracteurs du processus de paix, le président Andres Pastrana continue à croire à la négociation avec la guerilla.

« On peut faire plus et il me reste moins d'un an [avant la fin de mon mandat]. Alors, je veux faire avancer le processus de paix pour qu'il devienne irréversible. »
le président Andres Pastrana

Dans un pays où l'économie est pratiquement paralysée par la guerre civile, où plus de 25 % de la main-d'œuvre est en chômage et où la corruption liée à la drogue atteint toutes les couches de la société, parler de changement crée de l'espoir et constitue une menace aussi pour les élites en place.
extrait du reportage


La moitié des combattants de la FARC sont des femmes.

 

 

 

Le coca et la lutte contre le narcotrafic

« En ce moment, à travers le plan Colombie, nous sommes en train d'attaquer les cultures, nous sommes en train d'attaquer les paysans, nous ne sommes pas en train de poursuivre les trafiquants de drogue. »
Ingrid Betancourt

Avec l'aide des États-Unis, le gouvernement colombien a instauré, au coût de plus de 7 milliards de dollars américains, le Plan Colombia, pour inciter les paysans à abandonner la culture de la coca. Il leur offre une aide spéciale pour qu'ils se tournent vers des cultures de substitution comme celle de la banane ou d'autres denrées rentables. Même s'il a multiplié ses efforts, le gouvernement n'est pas parvenu ses fins. Dans un pays pauvre, les revenus du coca sont difficiles à remplacer: la plante peut produire jusqu'à quatre récoltes de feuilles de coca pas an, revendues jusqu'à 1000 $ canadiens chacune. Puis, l'aide se fait attendre.

« Alors que tous les yeux sont tournés vers des négociations de paix dont on sait qu'elles seront longues et difficiles, il n'a pour objectif que de renforcer, équiper et entraîner l'armée colombienne; sous la pression de Washington, il joue la guerre contre la drogue, niant la nature sociale et politique du conflit. Le prétexte pour maquiller les véritables objectifs de la future intervention américaine, conserver le contrôle de cette région vitale, riche en ressources stratégiques, le pétrole en particulier, est ainsi trouvé : pour le Pentagone, la principale menace qui pèse sur l'hémisphère n'est plus Cuba, mais la possibilité que surgisse un « narco-Etat colombien.  »
extrait d'un article du Monde diplomatique: Plan Colombie, passeport pour la guerre

 



« Le gouvernement me promettait un prêt pour cultiver de la banane, du maïs ou élever des bovins. Tout ce que j'ai reçu, ce sont des poulets. »
Jesus Cadena Narino, paysan

 

« Le phénomène de la drogue existe à cause des pays capitalistes. Il y a une très grande responsabilité des pays consommateurs. Les États-Unis, l'Europe, pour ne pas aller plus loin. Ces pays produisent les produits chimiques. La responsabilité de la Colombie, c'est de produire la feuille de coca. C'est tout. »
commandant Raoul Reyes, négociateur en chef des FARC

« La majeure partie des fonds dépensés jusqu'à maintenant dans le cadre du Plan Colombia ne sont pas allés dans la poche des paysans pauvres, au contraire. Ce sont les militaires qui en ont surtout profité pour financer leur méthodes à eux pour éradiquer la coca. C'est ainsi que depuis un an on a dépensé des fortunes pour détruire chimiquement les cultures du haut des airs. Malgré tout l'argent investi dans ces opérations massives de fumigation, le nombre d'hectares de coca en Colombie n'a fait qu'augmenter. »
extrait du reportage

 

Une femme se dresse pour mettre fin au statu quo

« Quand je serai élue, je vous mettrai tous à la porte, parce que vous êtes tous corrompus ».

Le ton était donné pour sa campagne: Ingrid Betancourt venait de démissionner du sénat pour se lancer dans la course à la présidence. Pour l'instant, elle ne figure même pas dans les intentions de vote. Mais, chaque fois qu'elle s'est par le passé présentée à une élection, c'était comme cela et, pourtant, elle est sortie gagnante.

« Elle est ferme, ferme. Comme un homme. Très peu d'hommes pourraient faire comme elle. »

Fille d'un ancien ministre et d'une collaboratrice d'un ancien candidat à la présidence assassiné, elle est une politicienne redoutable et radicale qui n'a pas peur de se battre contre la corruption et le narcotrafic. Au péril de sa vie, car d'autres avant elle ont payé de leur vie leur engagement pour le changement. Elle-même a déjà été victime d'un attentat et se déplace maintenant en jeep blindé avec des gardes du corps armés.



« C'est quelque chose qui est pas facile à accepter, enfin, je veux dire, c'est pas agréable de savoir que sa mère est en danger. »

 



« Sincèrement, si elle réussit, c'est vrai qu'elle aura changé le cours de l'histoire. »

 

 


 

Une équipe de Zone libre s'est rendue en Colombie et a rencontré Ingrid Betancourt. Un reportage sur le narcotrafic en Colombie.

Un reportage du journaliste Jean-François Lépine et du réalisateur Georges Amar. Images : Pierre Mainville; montage : Hélène Lamothe.

Visionnement du reportage


 

H Y P E R L I E N S


Dossier

La Colombie
(excellent dossier de fond du Monde diplomatique; parmi les sections: Plan Colombie, passeport pour la guerre, Ingérences étatsuniennes, Des foyers de résistance multiples, Reportages photos en Colombie)

Développement et paix
(dossier très complet sur la Colombie, mis à jour périodiquement)

Le peuple colombien

Situation des réfugiés en Colombie
(page de Médecins sans frontières)

Droits de la personne
(fiche extraite du rapport annuel 2001 d'Amnesty international)

Gouvernement et guerilla

Le plan de paix
(informations sur les négociations entre le gouvernement de la Colombie et les FARC, en anglais et en espagnol)

Gouvernement colombien
(site officiel, en anglais)

FARC
(site du mouvement, en espagnol)

ELN
(site du mouvement, en espagnol)

Médias

El tiempo
(quotidien de la Colombie)

Cambio
(revue de Colombie)

Le pays

Informations touristiques
(sur le web de l'Amérique latine)

La Colombie en musiques et en images
(site réalisé de concert avec l'association humanitaire Alcan, qui œuvre en faveur des enfants orphelins de Colombie)


L'émission Zone libre est diffusée sur les ondes de
Radio-Canada
le vendredi à 21 h et en reprise à RDI le samedi à 23 h, le dimanche à 13 h et à 20 h ainsi que le lundi à 2 h.