Des recettes de magazines mises à l'épreuve [enquête du 4 décembre 2003]
Nous continuons à acheter des magazines
de recettes de cuisine, même si nos armoires en débordent.
Vous est-il déjà arrivé d'essayer une
recette qui n'a pas fonctionné? Ce n'était
peut-être pas de votre faute. L'épicerie s'est
mise aux fourneaux.
« Tamiser
le sucre avec 30 ml de sucre en poudre et le cacao...
Mais ils ne disent pas quel sucre ajouter pour tamiser. »
Vous vous reconnaissez? Pourtant, Dany, lui, en a vu d'autres
: il est cuisinier. Dany tente de suivre une recette proposée
par un magazine populaire.
Nous
avons demandé aux 2000 personnes que nous consultons
à l'occasion sur notre site web s'il leur était
arrivé de rater des recettes de dessert en ayant pourtant
suivi à la lettre les indications des magazines. Les
amis de L'épicerie ont eu des problèmes
avec au moins 70 recettes.
Didier Girol,
enseignant au Centre intégré en alimentation
du Québec, explique pourquoi l'exactitude est importante
pour certaines recettes : « Si vous mettez
une carotte de plus ou de moins, votre bouilli va être
aussi bon, Il sera juste plus végétarien, ça
s'arrête là! Par contre, dans une recette de
pâtisserie, si vous changez la moindre proportion, le
mets s'écroulera complètement. »
Le chef pâtissier et son équipe cuisinent pour
nous quatre recettes qui illustrent bien le type de problèmes
que nous rencontrons généralement.
Recettes
testées
Barquettes aux prunes Le Guide Cuisine
automne 2002
4 portions / 7 $
Sablés au romarin Femme
décembre 2002
38 portions / 5 $
Gâteau chocolat-meringue
crème au beurre Châtelaine
février 2002
12 portions / 16 $
Truffes au chocolat Coup de Pouce
décembre 2001
50 portions / 7 $
Premier problème : l'imprécision
« Dans
la recette de barquettes aux prunes, fait remarquer M. Girol,
on demande de prendre un paquet de pâte feuilletée
du commerce. On doit le couper en quatre pour étaler
en petits rectangles de 10 par 13 cm (si je me souviens
bien). Mais un paquet de quelle quantité doit-on utiliser?
On ne le dit pas! »
Si comme nous, vous utilisez un paquet de 500 g, vous
vous retrouverez avec une pâte trop haute... et pas
cuite!
Deuxième problème :
des instructions inappropriées
Certaines
méthodes suggérées ont fait froncer les
sourcils de M. Girol : « On dit de graisser
la plaque pour les barquettes. Avec de la pâte feuilletée,
on ne fait jamais ça! Pour le gâteau chocolat-meringue
crème au beurre, on nous dit de chauffer le chocolat
pour le faire fondre. Mais à quelle température?
On ne le dit pas. C'est important. Normalement, on ne doit
pas dépasser 30 degrés Celsius si on utilise
un chocolat de pas très bonne qualité comme
on trouve dans certaines grandes surfaces. »
« Dans la recette de sablés, poursuit M. Girol,
on nous indique de mettre la farine en deux temps. En fait,
on ne doit jamais faire cela avec les petits sablés,
qui doivent être très, très croustillants.
Il faut donc donner le moins possible d'élasticité
à la pâte. À partir du moment où
on met la farine en deux fois, la première partie va
être mélangée deux fois plus longtemps
que la deuxième, et il y a une partie du gluten de
la première farine qui va commencer à devenir
élastique. »
« On
nous donne dans la recette de truffes au chocolat une indication
qui me hérisse le poil en tant que chocolatier, s'exclame
M. Girol. On nous dit de mettre la préparation
deux heures au congélateur. Le chocolat déteste
le congélateur! Quelle horreur! Regardez le phénomène
de condensation sur le chocolat. Des petites gouttelettes
d'eau se sont formées. »
Troisième problème (plus grave) : les erreurs
dans les quantités
« Regardez
ce déséquilibre dans la recette, fait remarquer
M. Girol. On se retrouve vraiment avec une chapelure.
Ça va être à peu près impossible
de faire ce mélange-là. Il n'y a pas suffisamment
de liquide par rapport au solide. »
Quatrième problème :
les recettes longues et complexes
« Deux pages d'explications, plus une demi-page
d'ingrédients, franchement, même moi quand j'ai
regardé la recette de gâteau chocolat-meringue
crème au beurre, je trouvais ça très
complexe à réaliser » affirme M. Girol.
D'où viennent ces erreurs?
La
question se pose : de quelle façon les éditeurs
de magazines développent-ils leurs recettes? Chez
certains, comme Guide cuisine, on confie la création
des recettes à différents chroniqueurs. Suzanne Cazelais,
du Guide cuisine, nous explique : « En
général, on essaie une recette une fois, et
parce qu'on a beaucoup d'expérience, on n'est généralement
pas trop loin du but. Certaines recettes ne sont pas testées
parce que ce sont des recettes qui utilisent des techniques
de base connues, que nous maîtrisons. On sait que les
variantes imaginées ne créeront pas de problème. »
D'autres,
comme Coup de pouce ou Châtelaine, créent
ou empruntent à d'autres magazines. Francine Tremblay,
de Coup de pouce, décrit la situation :
« Nous sommes un éditeur canadien de magazines
de consommateurs. En plus de Coup de pouce, nous avons
un magazine anglophone qui s'appelle Canadian Living.
Ce dernier est vendu à 600 000 copies au Canada
anglais, alors que Coup de pouce est vendu à
200 000 copies au Québec. Nous faisons surtout
de la création de recettes, dans un laboratoire situé
à Toronto. La recette est créée dans
un contexte anglophone, puis on l'adapte en anglais et en
français. »
Chez
Châtelaine, c'est sensiblement la même
chose, nous dit Michèle Labrèche-Larouche :
« Nous partageons des recettes de Chatelaine
anglais de Toronto parce que Chatelaine anglais c'est
très gros, ils ont un énorme tirage, et ils
ont leur "test kitchen", c'est-à-dire que
chaque recette est testée trois fois par des gens de
la maison et par des pigistes. Puisque nous avons les mêmes
éditeurs, nous empruntons leurs photos et traduisons
les recettes. On peut aussi les adapter, parce que parfois
nous n'avons pas les mêmes goûts. »
Est-il
possible que tous ces problèmes viennent de la traduction?
« Ça peut arriver, dit Mme Labrèche-Larouche,
mais habituellement, ceux qui traduisent connaissent la cuisine.
On n'engage pas de traducteurs professionnels. On aime mieux
des journalistes qui s'y connaissent en cuisine. »
« Notre méthode de travail quand même
assez complexe nous permet de dire au bout du compte que la
recette a passé toutes les étapes, que toutes
les épreuves ont été traversées »,
affirme pour sa part Mme Tremblay.
Au Québec, la plupart des magazines n'ont pas accès
au fameux "test kitchen". « C'est malheureux,
dit Mme Tremblay, mais ça dépend de la
taille du marché. Le marché québécois
n'est pas très grand. Si nous n'avions que Coup
de pouce, nous n'aurions pas les moyens d'avoir un laboratoire
où on peut tester nos recettes. »
Il ne faut pas dramatiser. Nous avons trouvé beaucoup
d'erreurs, mais des recettes correctes en bien plus grand
nombre. Soit dit en passant, il ne semble pas y avoir plus
d'erreurs chez les magazines n'ayant pas accès à
un laboratoire. Nous sommes quand même en droit d'exiger
des magazines que toutes les recettes soient sans faille,
puisque après tout, nous payons la publication, nous
payons les ingrédients et nous payons aussi de notre
temps.
Appel
aux téléspectateurs et internautes!
Les amis de L'épicerie L'équipe de L'épicerie
aimerait pouvoir vous consulter, à l'occasion
et sur une base volontaire, sur des sujets concernant
l'alimentation. Si l'idée vous enchante,
inscrivez-vous et devenez membres du club de L'épicerie.
Vous pouvez le faire sur la
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