Claude Poirier
Parcours de vie
- Nom Complet :
- Claude Poirier
- Date de naissance :
- Lieu de naissance :
Montréal
- Profession :
Chroniqueur judiciaire et négociateur
- Moments marquants de sa carrière :
Octobre 70, présence lors de la découverte du corps de Pierre Laporte dans le coffre d’une voiture; incendie du bar le Blue Bird à Montréal; suicide du criminel Robert Brown pendant une négociation; prise d’otage à l’Institut Philippe-Pinel par le psychopathe Normand Champagne; libération de cinq personnes tenues en otage par deux voleurs dans une station-service.
- Émissions :
Le vrai négociateur, Poirier enquête, Claude Poirier : secrets judiciaires
- Livres :
Otages, Claude Poirier sur la corde raide, Claude Poirier : 10-4.
- Prix et récompenses :
Médaille de la bravoure du gouvernement du Canada, cinq citations d’honneur du gouvernement du Québec.
- Documentaire :
Claude Poirier : 50 ans de passion
- Signes distinctifs :
Son emploi de l’expression « 10-4 », cigarette à la bouche.
Biographie
Né à Montréal, Claude Poirier est influencé dès son jeune âge par l’intérêt que porte sa mère aux affaires criminelles publiées dans les journaux de faits divers. À la grande déception de son père, il quitte l’entreprise familiale pour joindre l’équipe de CJMS dans le but de poursuivre sa passion : devenir chroniqueur judiciaire.
Autodidacte, il se démarque rapidement par son franc-parler et sa débrouillardise, mais surtout, par sa déconcertante facilité à établir des contacts et à gagner la confiance des criminels. D’une intégrité inébranlable, Claude Poirier désamorce, au cours de sa longue carrière, des dizaines de situations explosives lors de prises d’otages et agit comme médiateur auprès des criminels les plus notoires du Québec.
Photographies

Claude Poirier au début de sa carrière, dans les années 60

Claude Poirier, chroniqueur judiciaire pour CKLM, dans les années 60

Claude Poirier, reporter dans les années 60

Claude Poirier au travail

Claude Poirier au début de sa carrière à CJMS, dans les années 60

Sur le terrain pour CJMS

Au micro de CJMS, dans les années 60

Le jeune Claude Poirier est un autodidacte

Claude Poirier, négociateur

Claude Poirier lors d’un reportage

En action

Claude Poirier, inépuisable

En train de faire le plein avec une voiture de reportage de CKLM

Claude Poirier, le « négociateur »

Lors de l’incendie du Blue Bird, en 1972

Photo plus récente de Claude Poirier

Entrevue Magazine
Comment décririez-vous votre métier?
Je peux affirmer, sans vantardise, que j’ai inventé ce que je faisais dans les années 60. Au début, j’ai été engagé par CJMS, sans être payé, pendant six mois. C’est ma mère qui me subventionnait d’une certaine façon en dessous de la table, sans que mon père s’en aperçoive. À l’époque, dans les années 60 et 70, les journalistes qui travaillaient dans les salles de rédaction ne voulaient pas toucher aux faits divers. Ils appelaient ça « les chiens écrasés ». Les médias d’ici ne couvraient pas tellement les nouvelles du milieu criminel, contrairement aux États-Unis où toutes les prises d’otage faisaient la manchette tous les soirs dans les bulletins de nouvelles.
Comment votre intérêt pour le milieu criminel s’est-il développé?
Si j’ai fait ce métier, c’est à cause de ma mère qui s’intéressait aux faits divers. Elle lisait le Montréal-Matin et Allô Police tous les jours. Elle m’a donné son soutien et son appui quand j’ai commencé à m’y intéresser, parce que mon père, de son côté, ne me donnait rien. Il m’en voulait de l’avoir laissé tomber en ne travaillant pas pour son commerce. Mon père avait un commerce d’accessoires électriques et il espérait que je le rejoigne après mes études. Quand il m’a vu partir travailler pour la radio sans être payé pendant plusieurs mois, il n’était vraiment pas d’accord. Alors, c’est sûr que si je n’avais pas eu les encouragements de ma mère, ça aurait été très difficile.
Donc, non seulement il n’y avait pas d’école pour apprendre votre métier, mais personne ne l’exerçait à ce moment-là?
Exactement. J’ai appris mon métier sur le tas, c’est aussi simple que ça. J’en ai travaillé des heures pour me faire un nom. J’avais un mentor, Marcel Rousseau, du journal Allô Police, qui m’a introduit dans le milieu pour me donner accès à la mafia italienne, la mafia québécoise, les clubs et tout ça. Déjà, à 20 ans, je rentrais partout. Il m’a présenté à Frank Dasti, la famille Cotroni, tout ce monde-là, et j’ai établi des relations très rapidement dès le début de ma carrière. Quand tu veux percer dans ce domaine-là, tu dois être disponible tout le temps, nuit et jour. On pouvait m’appeler à 2 h ou 4 h du matin, je m’habillais et je me rendais sur place.
Votre premier travail pour CJMS vous a amené à couvrir des événements d’envergure aux États-Unis. Quel souvenir en gardez-vous?
Quand Kennedy s’est fait assassiner en 63, pendant les heures qui ont suivi, j’ai décidé de partir au Texas. Puisque CJMS ne me payait pas pour ça, j’ai pris un montant d’argent que j’avais reçu de ma famille. C’est quelque chose que mon père m’a d’ailleurs toujours reproché. Je suis allé à Dallas et j’ai rencontré un pâtissier français qui avait été témoin de l’assassinat de Kennedy. Je l’ai enregistré avec ma grosse machine enregistreuse verte de l’époque, mais, malheureusement, erreur de débutant, je n’avais pas mis de ruban! J’ai aussi couvert, quelques mois auparavant, l’assassinat de Martin Luther King. Pendant huit ans, j’ai couvert les problèmes raciaux aux États-Unis. J’étais à Détroit, Baltimore, Philadelphie, Washington, même dans le Bronx à New York. Ça a été toute une expérience.
Pourquoi vouliez-vous exercer un travail aussi risqué?
Pour moi, l’important c’est de rendre service aux gens. J’ai souvent dit : « Quand je me couche le soir et que j’ai rendu service à quelqu’un, que j’ai été en mesure de lui apporter de l’aide et qu’il s’en est sorti, je n’ai pas besoin d’être payé. Je suis satisfait de ça. »
Quelle est la principale qualité d’un bon négociateur?
Il faut être un homme de parole. D’ailleurs, tu ne restes pas longtemps dans le milieu si tu n’as pas de parole. Tu ne peux pas commencer à trahir quelqu’un, puis un autre. Sinon, le mot se répand rapidement et tu te fais éliminer. À certains moments, j’ai failli avoir de gros problèmes, mais je m’en suis toujours sorti. Il ne faut pas avoir peur de travailler aussi. Moi, je faisais de la télévision sept jours sur sept à une époque et je dois avouer que mon travail a pris beaucoup de place dans ma vie.
Avez-vous négligé votre santé en pratiquant ce métier?
Jusqu’en 2012, j’ai été chanceux. Je n’ai jamais été touché par la maladie. Il m’est arrivé de passer plusieurs jours, parfois des semaines, à négocier des prises d’otage et à me faire déranger aux deux, trois heures. C’est certain que, dans ces cas-là, on ne dort pas beaucoup et on mange quand c’est possible. Quand on exerce ce métier, on ne peut pas prévoir de prendre des repas à 18 h le soir avec une bonne bouteille de vin. Combien de fois ai-je été dérangé les fins de semaine, la nuit, le dimanche? Si un homme t’appelle pour te dire : « Je viens de tirer quelqu’un, je voudrais me livrer à la police en votre compagnie », et qu’il te donne rendez-vous quelque part, tu ne le fais pas attendre! Je me souviens d’un cas en particulier : l’homme voulait me montrer où il avait commis le meurtre et où se trouvait le corps. C’est évident que, dans de telles situations, on oublie le dîner et le souper.
À une certaine époque, les faits divers étaient presque exclusivement traités dans les journaux Allô Police et Photo Police. Parlez-nous de cette période.
Dans les années 50, Jean Morin a créé Allô Police avec André Robert. Monsieur Poulain en était le propriétaire. Les gars qui travaillaient pour ces journaux se rendaient pendant plusieurs jours dans des régions, comme le Saguenay, Sept-Îles, le Bas-Saint-Laurent, pour couvrir les événements majeurs. Ils étaient très près des forces policières. Allô Police pouvait se vendre à 150 000, 200 000 copies. Quand sont apparus le Journal de Montréal, La Presse, la Gazette, avec leur section de faits divers, et que la télévision aussi s’est mise à les couvrir, c’est sûr que ça ne les a pas aidés. Photo Police existe encore, mais Allô Police a disparu depuis plusieurs années. J’ai connu des gens pour qui c’était sacré d’aller chercher toutes les semaines leur Allô Police.
La confiance des criminels à votre égard est exceptionnelle. Comment l’expliquez-vous?
C’est vrai que beaucoup de gars m’ont fait confiance. Les Cotroni m’ont fait confiance, et d’autres personnages assez importants aussi. Quand ils m’appelaient pour me parler et qu’ils se mettaient à sacrer ou à me parler bêtement, je leur disais : « Un instant, on n’a pas élevé les cochons ensemble! C’est vous qui êtes dans le trouble et qui m’avez appelé. Si vous faites ce que je vous dis, vous devriez être en mesure de vous sortir de cette situation. » Il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds. Aussi, quand tu côtoies le milieu des motards et de la mafia pendant des années, les gens se passent le mot. Ils se disent : « Si tel ou tel a fait confiance à Poirier, on peut lui faire confiance. » C’est sûr que cette confiance-là, ça prend des années avant de la gagner. C’est comme ça que j’ai pu entrer en contact avec des criminels comme Mesrine, Blass et plusieurs membres importants de la mafia.
Pourquoi les criminels vous appelaient-ils?
En général, c’était parce qu’ils avaient peur de se faire tuer par la police ou de se faire battre. Par contre, quand un gars m’appelait pour me raconter comment il avait tué telle personne ou quelque chose comme ça, je lui répondais : « Ne me raconte pas ça! Si tu me racontes tout, la police va m’amener comme témoin et je vais être obligé de témoigner contre toi en cour. » Je lui demandais plutôt de m’expliquer pour quelle raison il voulait se livrer, puis je m’arrangeais pour le mettre en contact avec un avocat ou je l’amenais au bureau des enquêtes criminelles. Souvent, ma simple présence les sécurisait et ça suffisait à désamorcer des situations qui auraient pu tourner au drame. Les bandits ont peur des uniformes, de l’unité d’élite et tout ça. Souvent, la seule chose qu’ils me demandaient c’était de les éloigner. Comme négociateur, j’avais un certain pouvoir et je pouvais dire aux policiers : « On a deux choix : vous vous éloignez et ils acceptent de se livrer, ou ça se termine en bain de sang ». Souvent, ça a aidé.
Vers la fin des années 60, le Québec a vécu un sommet sur le plan du taux de criminalité. Quels souvenirs gardez-vous de cette période?
C’est vrai. C’était l’époque des enlèvements et des prises d’otages dans les institutions bancaires. Après la crise d’Octobre, il y a eu beaucoup d’enlèvements, jusqu’à ce qu’on impose des peines très sévères aux preneurs d’otages. Il y en avait presque toutes les semaines. Moi, j’en ai vécu 55! C’est aussi l’époque où les familles italiennes, les Violi, les Cotroni et les Rizzuto, avaient le contrôle de la drogue. Alors, certains clans ont voulu reprendre leur place. Des gens comme Blass ont décidé de faire la guerre aux Italiens et de s’imposer. Les criminels québécois étaient moins présents dans la vente de stupéfiants. Ils étaient plutôt dans les vols de banque et les hold-up. Victor Lévesque, Lajeunesse et compagnie, c’était le gang des cagoules rouges. Il faut dire que, dans ce temps-là, les banques pouvaient garder jusqu’à 70 000 $ dans leurs tiroirs-caisses. Bien sûr, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Le Québec a vu évoluer des criminels notoires qui ont marqué l’imaginaire collectif. Pouvez-vous nous parler d’eux?
Il y a eu Lucien Rivard, un personnage qui a fait sa marque autant au Québec qu’aux États-Unis. La fameuse évasion de la prison de Bordeaux, il ne l’a pas réussie en allant arroser la patinoire, il est sorti par la porte centrale! Georges Lemay aussi était dans une catégorie à part, on l’appelait le « cerveau du vol du siècle » pour ses vols aux banques Saint-Alexandre et Sainte-Catherine. Richard Blass en est un autre. Je lui disais souvent : « Tu ne veux pas arrêter, là? Tu vas y laisser ta vie! » Il répondait : « Penses-tu vraiment, Claude, que je vais partir avec ma boîte à lunch le matin pour aller gagner 400 $ par semaine quand je fais 20 000 $ dans une banque? C’est moi qui tombe ou c’est eux autres. » C’est finalement lui qui est tombé, à Val-David.
Que pensez-vous du fait qu’une partie de la population soit séduite par les criminels et les considère comme des héros?
Il y a toujours des gens qui ont de la sympathie pour ce genre de personnages. Ça me rappelle un sondage qui a été fait en France dans lequel Jacques Mesrine était arrivé premier en popularité parce qu’il ridiculisait les forces de l’ordre. Moi, je dis toujours aux jeunes, quand je parle dans les écoles : « Ne prenez pas ce monde-là pour des héros. Vous pouvez prendre un joueur de hockey ou de baseball pour un héros, mais pas eux. Ce sont des bandits et des criminels qui ne vivent jamais bien vieux. Je n’en ai pas connu beaucoup qui ont dépassé 40, 45 ans. »
Plusieurs événements ont marqué votre carrière, dont celui de l’incendie du bar le Blue Bird. Que s’est-il passé ce soir-là?
C’était le soir du 1er juillet 1972, la fête du Canada, et je patrouillais dans ma voiture au coin de Mansfield et Sainte-Catherine. À un moment donné, j’entends des sirènes arriver de partout. Je me mets sur la fréquence des pompiers et j’entends : « Attention, dépêchez-vous, il y a des gens prisonniers de la bâtisse. » En arrivant sur les lieux, je vois des gens brûler vifs à cause de trois têtes folles qui avaient décidé d’asperger l’escalier d’essence et d’y mettre le feu après avoir été refusés au club du deuxième étage. Quand l’incendie a été maîtrisé, l’aumônier des pompiers de Montréal, le père Dollard Morin, m’a fait enfiler un costume de pompier et m’a entraîné avec lui à l’intérieur. Il y avait des cadavres partout. À la porte de sortie, les corps étaient empilés, tous morts par asphyxie. Trente-sept victimes, c’est certain que ça m’a beaucoup marqué. C’est d’ailleurs à partir de ce drame-là que la loi a exigé que les portes de secours ouvrent vers l’extérieur. S’il y avait eu de telles portes dans le Blue Bird, les gens auraient pu sortir.
Arrivez-vous à bien dormir malgré toutes les histoires d’horreur dont vous avez été témoin?
Il m’arrive d’avoir des sursauts, mais je dors bien en général. Juste après un événement, c’est plus difficile, mais sinon ça va. Quand Robert Brown s’est suicidé devant moi dans un motel à Saint-Eustache, c’est sûr que ça m’a pris quelques jours à m’en remettre. Il y a des situations qui nous marquent davantage que d’autres.
Quelle était votre relation avec la police?
D’abord, ils ne m’ont jamais demandé quoi que ce soit. Il est arrivé que la police n’ait pas le choix de demander mon aide, mais c’était à la demande des ravisseurs. En vérité, la police n’a jamais voulu me voir sur les scènes de crime. Alors, c’est sûr et certain que je me faisais regarder de travers. La plupart des criminels n’ont pas confiance en la police. Ils en ont peur et refusaient de négocier avec eux. Ils disaient : « Faites venir Poirier. » C’est sûr que je ne me suis pas fait d’amis dans la police, j’en suis très conscient, mais je ne faisais que mon travail. Il ne faut pas oublier que le ministère de la Sécurité publique m’a quand même donné cinq citations d’honneur et j’ai aussi reçu la Médaille de la bravoure du gouverneur général du Canada.
Avez-vous déjà eu suffisamment peur pour avoir envie de tout arrêter?
Non, jamais à ce point-là. Je me suis parfois posé des questions, mais je ne me serais jamais pardonné de refuser de me rendre à un endroit et que cela puisse entraîner la mort d’otages. Alors non, je n’ai jamais songé à arrêter. Quand quelqu’un veut s’en prendre à une personne innocente, même si je sais qu’il peut me tuer, je vais débarquer.
0/0
Extraits Vidéo
-
Claude Poirier explique pourquoi il s’intéresse aux faits divers. 00:51 min
-
Claude Poirier revient sur les manifestations contre la Murray Hill en 1969. 01:38 min
-
Claude Poirier parle de sa manière unique de travailler. 00:28 min
-
En 1975, alors journaliste à CJMS, Claude Poirier met fin à une prise d’otage à la caisse populaire de Saint-Vincent-de-Paul, à Laval. 1:28 min
-
Claude Poirier parle de son livre Otages à l’émission Hebdo-Samedi, en 1979. 1:20 min